Décolonisation culturelle au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême

Entre le 27 et le 30 janvier, tout le milieu de la bande dessinée converge à Angoulême pour son célèbre Festival international de la BD. C’est dans ce contexte que Touki Montréal a rencontré Otto T. (Thomas Dupuis), auteur de plusieurs séries dont Petite histoire des colonies françaises, publiée aux éditions Flblb.

En entrant au musée de la BD, le public est accueilli par ces mots : « Ce livre passe en revue cinq siècles de colonisation en rentrant bien dans les détails, pour qu’on ne loupe pas un seul aspect positif. »

«Petite histoire des colonies françaises» est une exposition réalisée à partir de la série de BD dessinées  par Otto T. et écrites par  Grégory Jarry. Ils ont même un tome dédié à la Françafrique.

Il y aurait beaucoup à dire sur Otto T. (Thomas Dupuis), mais pour maintenant vous allez devoir vous contenter de cet extrait romancé de notre discussion à propos d’indépendance culturelle.

Otto T: J’aimerais bien lire, en BD, des voix d’Afrique ou du Maghreb qui parlent de leur pays. La BD est un médium industriel, qui nécessite une imprimerie, un tirage. Son existence est conditionnelle à l’existence d’un marché du livre. Par exemple, le cinéma en Afrique sub-saharienne a quasiment déserté. Les réalisateurs ont souvent des producteurs français. Il n’y a pas de circuit pour le film, et pour le livre ce n’est pas beaucoup mieux. Il y a un travail à faire.

Ce ne serait pas du néo-colonialisme culturel que d’apporter ces structures industrielles ?

O.T. : [Rires] Oui, c’est vrai. Toutefois, il faut un point de départ, donner envie d’en faire, même si ça peut être pris pour du néo-colonialisme. Il y une littérature florissante au Maghreb, mais qu’est-ce que ça donnerait la BD dans ces pays-là ? J’aimerais vraiment voir ça.

Le problème pour l’instant, c’est que la BD africaine souffre d’une trop grande influence de l’esthétique franco-belge, voire aussi du Japon.

Ça c’est sûre. Je connais des bédés de propagande, notamment pour le ministère de la santé en Afrique sub-saharienne. Esthétiquement et thématiquement, ce n’est pas bien du tout. Il y a des choses propres au pays, donc en les lisant on apprend quand même des choses.

Quelle place y a-t-il pour l’appropriation dans tout ça ?

Il faut bien que ça commence quelque part. La BD a ses modèles traditionnels. Dans les pays d’Afrique francophones, ils ont eu Astérix et Tintin, donc c’est sûre que ça les influence, au départ.

Peut-on critiquer le néo-colonialisme en utilisant les médiums des anciens pays colonisateurs ?

Je ne sais pas. Il y a un texte de Léon Trotsky sur l’interdépendance entre la fin et les moyens (Leur morale et la nôtre, 1938) [NDRL : À cet instant, à l’instar de Léon Trotsky, Otto porte de petites lunettes rondes, des cheveux noirs et courts et une barbe taillée].

Il y a aussi un auteur Américain, Marshall MacLuhan, qui a montré que le médium est le message. Mais si l’on prend l’exemple de la bédé japonaise, on voit au contraire un début similaire à celui de la bédé africaine qui mène à une appropriation et à la création d’une culture indépendante. La BD japonaise n’existait pas sous la forme qu’on lui connaît avant la seconde guerre mondiale.

Osamu Tezuka notamment, un des premiers auteurs à succès (avec Astro Boy entre autres), c’est lui qui a modelé la bédé japonaise, qui en a établi les codes. Alors qu’une source majeure de son inspiration furent les dessins animés américains. Le Japon était quasiment occupé par les Etats-Unis et beaucoup de culture américaine a débarqué.

Tezuka adorait Walt Disney et les frères Dave et Max Fleischer (créateurs de Betty Boop). Ses premiers dessins sont emprunts de ça. Après, il s’en est détaché et il a défini le langage du manga actuel.

Avant de s’émanciper, il faut passer par une étape de reproduction d’autres modèles connus.

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