Niger: les femmes, otages de leurs maris émigrés

Des épouses d’émigrés partis en Europe vivent au Niger dans une misère affective quotidienne et un bien-être matériel parfois très relatif. La vie est encore plus dure pour celles qui ont des enfants et attendent depuis des années le retour de leurs maris. Témoignages.

(Syfia Niger)

« J’ai vécu ma grossesse loin de mon époux. Il vit en Belgique… », témoigne Mme R., une Nigérienne. Âgée aujourd’hui de 26 ans, elle a quitté les bancs du lycée il y a huit ans pour se marier avec un homme dont elle a fait connaissance le jour de leurs fiançailles. En tout et pour tout, ce dernier est resté à ses côtés deux mois, le temps de savoir qu’elle était enceinte. Il est ensuite retourné en Belgique où il séjournait avant leur union depuis cinq ans. Depuis, elle a de ses nouvelles à travers ses appels téléphoniques quotidiens et ses transferts mensuels d’argent.

Aichatou, 28 ans, a vécu trois ans avec son mari. Après leur seul enfant, ce dernier est parti pour la France, afin, pensait-il, de faire fortune. « Chaque mois, il diminue le montant des sommes qu’il m’envoie. Les semaines passent et je ne reconnais plus mon prince charmant », regrette-t-elle, désolée de n’avoir pas plus souvent de ses nouvelles. Elle comble ses fins de mois grâce à son commerce de vente de pagnes.

Longue et cruelle attente

À Niamey et dans d’autres régions du Niger, des jeunes et des moins jeunes qui ont semble-t-il réussi en Europe ou en Amérique du Nord envoient de l’argent à leurs parents restés au pays. Les plus fortunés y construisent de belles maisons, achètent des voitures, ouvrent des commerces, etc. « Pour qu’ils ne coupent pas les liens avec leurs origines, leurs parents leur trouvent une femme au pays », témoigne un sexagénaire.

Sa fille cadette s’est mariée à distance à un jeune de son village parti en Espagne. Quatre ans plus tard, la jeune fille attend toujours son époux dont elle ne possède que des photos. Elle ne l’a même jamais vu ! « Cette attente me fatigue. J’en ai assez de voir ma fille chez moi, alors qu’elle devrait être chez son mari ! », tempête le papa, plein d’amertume et prêt à demander le divorce pour sa fille.

Pour certaines, l’attente est encore plus longue et cruelle… « En dix ans, je n’ai vu mon mari qu’une seule fois. Il est revenu deux ans après la célébration de notre union, car le mariage a eu lieu en son absence. Nous avons eu un enfant et il est retourné en France… », raconte Mariama.

Agée à présent de 28 ans, elle se rappelle : « J’étais en classe de 1ère, quand une amie de ma mère m’a proposéede me marier avec son fils qui vivait en Europe. Très vite, j’ai accepté. Je pensais que me marier avec quelqu’un qui vit là-bas était synonyme de vie meilleure. » Aujourd’hui, Mariama a abandonné l’école et est exploitée par sa belle famille… « J’y suis devenue une femme à tout faire. Mon seul repos, c’est quand je tombe malade », dénonce-t-elle.

Plusieurs de ces épouses délaissées regrettent leur choix et ont le sentiment d’avoir été trahies. « Au début, mon mari me téléphonait chaque jour pour demander de mes nouvelles. Mais, cela n’a duré qu’un temps… Il est ensuite devenu très rare au téléphone », regrette Habsatou, 28 ans. Les souvenirs sont les seules choses auxquelles elle peut encore se raccrocher. Une belle cérémonie de mariage. Des vidéos, des photos, une grande réception pour les invités… « C’est tout ce que je garde de mon mari depuis sept ans qu’il est reparti… », déplore-t-elle.

« Le mariage, ce n’est pas seulement le Western union »

Beaucoup ont compris que le très relatif bien-être matériel ne faisait pas tout. « Le mariage, ce n’est pas seulement la belle villa, le Western union, la voiture ou la marmite toujours bien garnie. J’ai besoin de le sentir à mes côtés », se révolte une épouse de 32 ans, dont le mari vit à Marseille, en France, depuis six ans. Elle marque un temps d’arrêt, ferme les yeux, puis ajoute : « Il m’arrive de lui téléphoner en pleine nuit pour entendre sa voix. C’est à cet instant seulement que je retrouve le sommeil. » Une autre femme confie : « Souvent, je prie la nuit pour que mon mari soit refoulé et que je retrouve la stabilité dans mon foyer. »

« Mon fils, né après le départ de son père, a aujourd’hui six ans, poursuit-elle, visiblement meurtrie. Il n’a jamais posé le regard sur son père qui continue son séjour en Europe… »
Le quotidien de ces femmes abandonnées ne semble pas alerter les plus jeunes. Au Niger, les émigrés ont toujours la cote auprès des jeunes filles qui veulent les épouser. « Elles ne voient pas l’enfer dans lequel nous sommes plongées, mais seulement notre situation matérielle, déplore Habsatou avant de conclure. Chacune veut avoir son petit ‘Européen’. »

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