Sud-Kivu : les rapatriés récupèrent difficilement leurs terres

Exilés durant de longues années dans les pays voisins, les Congolais de Fizi et Uvira qui rentrent peu à peu chez eux ont bien du mal à se réinstaller. Bien souvent, leurs terres et leurs maisons sont occupées par d’autres. Des situations inextricables et des conflits difficiles et longs à résoudre.Plus de 64 000 Congolais sont rentrés de Tanzanie et du Burundi depuis 2005 dans les territoires de Fizi et d’Uvira au Sud-Kivu, frontaliers de ces pays.

Il en reste encore près de 60 000 dans le premier pays, 29 000 dans l’autre. Mais beaucoup hésitent à revenir dans leur pays natal par peur de ne pas pouvoir jouir des terres et propriétés qu’ils ont quittées depuis des années. Nombre de ceux qui sont revenus ont trouvé leurs maisons détruites, leurs champs exploités par d’autres. Soit certains membres de leur famille les avaient vendus, soit des voisins les avaient accaparés, profitant de leur longue absence. Personne n’ayant envie de les leur restituer, ils n’ont rien pour vivre.

Kasindi Jean a tout perdu en 1998 lorsqu’il a fui en Tanzanie pour échapper à la guerre du RCD : « Mes vaches, mes champs, ma maison et tous mes biens ont été pris. » Revenu de ce même pays, dans son village natal, Pamba Selemani a trouvé sa maison, où il comptait loger avec ses huit enfants, occupée par un habitant d’un village voisin, qui prétendait l’avoir achetée à l’un de ses oncles. Ayant saisi les autorités locales pour la récupérer, celles-ci ont balayé d’un revers de la main sa requête et donné raison à l’occupant de sa maison. « Pauvre réfugié, je ne pouvais pas faire le poids face à quelqu’un qui a ces moyens », s’est-il résigné.

Mal vus et peu aidés

Beaucoup pourraient raconter la même histoire. Bilombele, exilé pendant dix ans et rapatrié en 2009, a trouvé un officier de l’armée dans sa maison à Baraka, qui sans ambages lui a promis la mort s’il osait chercher à la récupérer. « Tous mes proches m’ont conseillé de laisser tomber pour ne pas exposer ma vie. J’ai alors été obligé de retourner vivre dans mon village natal à Mboko ». Il en était parti à 15 ans et y a été considéré comme un étranger par les siens. Toutes les terres de sa famille étant partagées entre ses oncles et leurs enfants, pour pouvoir cultiver un petit lopin de 10 ares, il doit payer le prix de deux chèvres par an.

Masudi Shabani a connu la même mésaventure. Le chef de groupement m’a dit que « j’étais étranger dans son entité et que par conséquent si je voulais avoir l’espace pour cultiver, je devais payer un loyer d’une chèvre par an et du tiers du produit de mes récoltes », confie-t-il, impuissant.

Pour leur part, certains chefs de groupement et de localité, comme Sheck Djuma, notable de la chefferie de Babwari, en territoire de Fizi, affirment que certains de ceux qui rentrent « se cachent derrière leur état de rapatrié pour essayer de prendre même les terres qui ne leur appartiennent pas ». « Comment quelqu’un qui est parti de notre village il y a plus de 50 ans, peut-il venir prétendre avoir des droits sur certaines terres en prétextant qu’elles lui auraient été léguées par ses parents ? », s’interroge également Bin Tembwe, un habitant de la localité de Kaboke. De fait, la situation est très complexe.

Résoudre les conflits

Certains rapatriés se battent énergiquement pour recouvrer leurs droits avec l’aide du HCR (Haut commissariat aux réfugiés) et de l’ONG Arche d’Alliance. Le problème est que ces rapatriés ne sont pas toujours en possession des titres qui prouveraient que ces terres leur appartiennent, fait remarquer, Me Ibrahimu de cette Ong.

Pour pallier ces difficultés et éviter que les conflits ne s’amplifient, « nous essayons de chercher des solutions à l’amiable entre les parties en conflit en nous basant sur les témoignages de gens ou de notables crédibles dans ces villages et ainsi nous parvenons à régler certains différends ». Asumani Kiza, rapatrié du Burundi en 2005 après neuf ans d’exil, a eu gain de cause : « Je suis parvenu, après trois ans d’une interminable procédure, à recouvrer le droit de propriété sur ma maison située au quartier Kasenga, dans la cité d’Uvira. »

Pour leur part, le HCR et la Commission nationale des réfugiés (CNR), organe technique du gouvernement congolais dans le processus de rapatriement des réfugiés, estiment que la délivrance de titres de propriété aux rapatriés est la solution la plus durable à ces problèmes récurrents. C’est ainsi qu’un premier groupe de 68 rapatriés a reçu, en septembre 2011, des titres de propriété sur des maisons en briques construites par le HCR dans les territoires de Fizi et d’Uvira. D’autres personnes devaient en bénéficier aussi (675 en tout), mais le processus semble interrompu pour des raisons à la fois techniques et liées à la situation politique du pays, déclare, sous anonymat, un cadre de la CNR.

Pour les organisations de la société civile, cependant, la CNR ne fait pas bien son travail. Elle abandonne à leur triste sort les rapatriés et se borne à organiser leur retour au pays, constate avec amertume Patience Alesire, de l’Ong OSEP d’Uvira. Les Comités locaux permanents de conciliation qui devaient être mis en place courant 2011 dans les groupements administratifs et se charger de résoudre pacifiquement les conflits locaux, dont ceux liés au retour des refugiés, tardent à se mettre en place pour des raisons purement politiques, selon elle.

Rutshuru : Le Mwami et les services du cadastre règlent les conflits fonciers

Depuis l’intervention, en 2011, du mwami de la collectivité de Bwisha (Rutshuru) au Nord-Kivu, ceux qui ont perdu leurs champs à l’époque des guerres à répétition depuis peuvent en obtenir d’autres. La moitié des 20 ha à distribuer prévus par les services du cadastre pour établir un nouveau lotissement pour construire des maisons a déjà été concédée aux populations riveraines de Kibaya, dans la localité de Bunagana, située à la frontière du Rwanda, de l’Ouganda et de la RDC.

« Ce nouveau lotissement nous a permis d’apaiser la tension entre plusieurs communautés de la région. Chaque jour, leurs représentants faisaient un sit-in au bureau de la chefferie pour réclamer l’une ou l’autre parcelle », raconte Kalumuna Lubala, chef de bureau du service du cadastre de Rutshuru.

Par ailleurs, tout habitant de Bunaga peut avoir droit, pour un montant forfaitaire de 700 $, à une parcelle en concession. « Environ 80 parcelles de 25 sur 30m ont déjà été données depuis le début de l’année dernière », précise Kalumuna Lubala.

Les terrains non lotis restent à la disposition des éleveurs et cultivateurs de la région, selon le souhait du mwami.
Ces terrains sont pris sur une grande étendue (497 ha) qui avait été mise à disposition de la population sous la colonisation belge par Ndeze Rugabo II, grand chef coutumier et propriétaire terrien. Une initiative qui avait permis de protéger le Parc national des Virunga, les éleveurs pouvant y faire paître leurs troupeaux. …

Par Evariste Mahamba, Jean Chrysostome Kijana

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