Nord-Kivu : Tongo, un village attaqué par les singes

A Tongo, à 60 km au nord de Goma, une forte concentration de primates agressent régulièrement des villageois. Principale cause identifiée : la guerre, qui pousserait les singes à quitter leurs territoires et à se sentir menacés par l’homme.

Cela ressemble à une légende, et pourtant… En quelques mois, au moins 17 personnes ont été gravement blessées et 10 tuées lors d’attaques de chimpanzés à Tongo, un village au nord-est de Rutshuru (60 km au nord de Goma). Le 24 juin dernier, les médias se sont faits l’écho du drame d’une fillette de 2 ans, arrachée du dos de sa mère lors d’une attaque de cinq chimpanzés et grièvement blessée. Transportée à l’hôpital de Goma, elle décèdera deux jours plus tard de ses blessures. Un fait divers qui n’est que la partie émergée de l’iceberg.

Tongo est proche du parc des Virunga. Pour y parvenir, les derniers 20 km sont dans la forêt. Depuis la mobilisation de nombreux militaires dans les conflits régionaux, la route n’est sécurisée et sûre que les mercredis et samedis, jours de marché.

Dans les parages, les bandits pullulent. A chaque kilomètre, on aperçoit au bord de la route, des babouins, espèce qui ne s’attaque pas aux humains. « Ils ne sont pas agressifs. Ils se contentent de dévorer nos récoltes, déjà saccagées par les éléphants…

En revanche, les chimpanzés posent problème, car ils s’en prennent aux femmes et aux enfants, affirme Manihiro Bakundakwabo, cordonnier et membre de la société civile de Tongo. Il ne se passe pas un mois sans que ces animaux ne tuent une personne. En juin dernier, trois enfants sont morts. »

Agressions et rumeurs

Ces témoignages, hors de Tongo, défraient la chronique. Cependant, de nombreux villageois ainsi que le chef de groupement, abondent dans le même sens. La brutalité des chimpanzés est visible sur les enfants : cicatrices ; oreilles, doigts ou orteils coupés. Certains en gardent des traumatismes : « Il y a trois mois, ces chimpanzés m’ont arraché mon enfant du dos après m’avoir frappée. Il a été blessé et traumatisé. Aujourd’hui, il ne se comporte plus normalement. Je comptais qu’il étudie et devienne prêtre. Mais, maintenant, il est chez sa tante maternelle », regrette une maman. L’enfant a en effet été éloigné du village pour éviter la stigmatisation.

Associé à ces récits d’agressions des singes, la rumeur prétend que ces animaux violeraient les femmes. Sans donner plus de précisions, un médecin vétérinaire assure : « Il est pratiquement impossible que le sexe d’un chimpanzé pénètre le vagin d’une femme. Cependant leur odorat peut détecter à distance ‘une femelle’ en chaleur. Par ailleurs, ils peuvent certainement attaquer et blesser une personne. »

Les témoignages de victimes rencontrées n’évoquent d’ailleurs jamais de viols : « J’étais allée sarcler les haricots. Un groupe de chimpanzés m’a encerclée et ils m’ont arraché mon enfant du dos. Ils m’ont donné des gifles et des coups de pieds, témoigne une victime. J’ai crié, et, à force, les singes ont laissé mon enfant. Il a eu un traumatisme crânien et a encore beaucoup de cicatrices. »

Conflits homme-animal

« Ces animaux ont longtemps été attaqués et tués par des combattants pour se nourrir. Je pense qu’ils se vengent contre les hommes des atrocités qu’ils ont subies pendant les guerres, pense un notable du groupement de Bwito. Ils doivent considérer les humains comme des ennemis. »

Autour de certains villages, il existe en effet des concentrations importantes de primates ayant fui leurs territoires d’origine, ce qui tendrait à provoquer des conflits homme-animal (les « human-wildlife conflicts » évoqués par la plateforme Human wildlife conflict collaboration (HWCC).

Du côté de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), les attaques relèvent bien d’un « conflit homme-animal qui se vit actuellement à Tongo. Il est clair qu’il faut prendre cela en compte, l’insécurité ayant entraîné une forte concentration d’animaux autour de plusieurs villages riverains du parc des Virunga, dans le territoire de Rutshuru », explique Arthur Kalonji, agent de l’ICCN Virunga.

Certains villageois regrettent que l’ICCN ne s’implique pas davantage. « Nous aimons la faune et la flore qui font notre richesse, mais, face à ces problèmes, l’ICCN ne fait rien. Ils nous demandent l’impossible ; par exemple de leur montrer quels chimpanzés sont responsables d’une agression ! En revanche, si quelqu’un leur lance une pierre, il est jeté en prison », accuse l’un d’entre eux.

La société civile fait, de son côté, des propositions : « Que l’ICCN nous construise des écoles, des centres de santé et qu’il augmente le nombre de pisteurs surveillant les chimpanzés pour éviter les mauvaises rencontres, suggère Manihiro Bakundakwabo. Cela nous est dû pour nous indemniser des blessures infligées à nos femmes et à nos enfants. D’ailleurs, le parc occupe la terre de nos ancêtres. Il est donc juste qu’il intervienne dans des activités de développement au bénéfice des populations riveraines. »

Les relations entre habitants et ICCN sont au plus froid et Emmanuel Demeraude, directeur du parc des Virunga se dit impuissant : « Nous sommes conscients des dégâts commis par les chimpanzés. Mais, avec la situation actuelle, les conflits, nos moyens sont vraiment limités. »

À la merci de l’armée

(Syfia Grands Lacs/RD Congo) Fin juin dernier : seuls quelques militaires des Forces armées de la RD Congo (FARDC) sont restés, pour « sécuriser » Tongo, village situé au nord-est de Rutshuru (60 km au nord de Goma). Les autres sont partis au front : « Nous sommes abandonnés. Tous les militaires ou presque sont partis. Tongo est livrée aux coupeurs de route. Ils sont actifs sur la route de 18 km entre Kalengera et ici », affirmait alors Augustin Mapendo Mukenga, président de la société civile de Tongo.

Les militaires qui sont restés se sont improvisés ‘douaniers’, érigeant, en toute illégalité, deux barrières, à 1 km de Kalengera (l’entrée) et à l’approche de Tongo (sortie). « On doit payer 100 Fc (0,10 $) à chaque barrière par personne. Un aller-retour au marché de Kalengera nous coûte 400 Fc. C’est dur ! », témoigne un habitant.

Il est 10 heures. Posté à côté d’une corde tendue entre deux sticks de bois, un militaire nous fait effectivement signe de nous arrêter. A droite de la route, deux autres sont assis dans une case de fortune, dont un commandant. Je demande au motard qui m’accompagne ce qui se passe. « Vous devez payer 100 Fc et on nous laisse passer », me dit-il à voix basse. Même chose à la barrière suivante. De retour du reportage, avant d’arriver à Kalengera, je réussis à passer outre en me présentant comme journaliste : « Eh moto tika journaliste wana akende naye po amona te biloko nabiso (Laissez passer ce journaliste pour qu’il ne se rende pas compte de ce que nous faisons, Ndlr). » Mais, en sortant de Tongo, un militaire tente de me confisquer mon appareil photo. Trois autres soldats sont occupés à compter les billets soutirés à la population en buvant de l’alcool…

Deux semaines plus tard, après la débâcle de militaires, le 4 juillet, sur le front de Ntamugenga, la situation avait empiré. « Trop c’est trop ! Hier nous étions abandonnés et depuis que les militaires sont revenus du front, ils nous obligent à payer 1 000 Fc (un peu plus d’1 $) à chaque barrière ! », confirmait alors un habitant. La société civile locale lançait un appel à l’aide : « A Tongo, la population souffre des tracasseries militaires. Elle est rançonnée et doit aussi transporter les bagages de soldats, leur puiser de l’eau et leur construire des cases. Il faut trouver une solution ! »

Par Alain Wandimoyi

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