Nord-Kivu : après la guerre, les défis du vivre-ensemble

Plus d’un mois après la reddition du M23, vengeance et règlements de compte au sein de la population des territoires anciennement occupés restent courants. Et le retour de l’autorité au Nord-Kivu ne se fait que lentement.

Un dimanche de novembre, c’est jour du marché de Mabungo, à Kiwanja (territoire de Rutshuru). Vers 11 heures, sous un soleil ardent, alors que l’ambiance bat son plein, un homme surgit en courant, renversant sur son passage des étalages et tentant de se frayer un passage dans la foule.

Arme_Beni_Monuc_US_RDCA ses trousses, trois vendeurs armés de bâtons en train de crier : « Attrapez-le ! Attrapez-le !… C’est l’un des anciens taxateurs du M23. » D’autres marchands, au passage, lui envoient force gifles et coups de pied. L’homme n’échappe au lynchage que grâce à l’arrivée de militaires FARDC campés non loin et alertés par les cris.

Pendant l’occupation, le M23 a recruté localement des personnes pour travailler dans leur administration. Depuis la reddition du mouvement rebelle, ceux qui ont ainsi collaboré sont très mal vus par la population. Vengeances et règlements de compte ne sont pas rares. Cette collaboration (avérée ou pas) sert aussi souvent d’exutoire à une population traumatisée par les pillages, les meurtres et les violences sexuelles.

Henriette Masika, tenancière de bar, en a fait les frais : « Notre frère a été assassiné dans sa buvette par des combattants qui y buvaient de la bière », se lamente un groupe de jeunes. Henriette, en guise de représailles, a été agressée et on a tenté d’incendier sa maison. Incendie heureusement empêché par le passage d’une équipe de la police nationale et de la Monusco qui a fait fuir les boutefeux.

Les affres de la guerre

Armée_US_RDCLe M23 avait instauré sa propre administration pour défendre ses intérêts. Pour renflouer ses caisses, de multiples taxes visaient aussi les activités quotidiennes de la population. Oscar Miburo se souvient avec amertume avoir dû payer pour accéder à ses champs : « Cinquante dollars par champ et par saison culturale, soit deux saisons par an, cela faisait un total de 400$ de taxes par an pour mes quatre champs. » Mais ce n’était pas tout, « ils avaient droit à une partie de la récolte ; et parfois même à la totalité. Tout leur appartenait ! », lance-t-il.

Paysans qui, comme toujours, ont payé un fort tribut. Leurs fils ont souvent été recrutés de force : « Mes deux fils qui venaient à peine d’entamer l’école secondaire ont été recrutés en 2012. Depuis, nous n’avons plus eu de nouvelles. Sont-ils encore vivants ? Dieu seul le sait », raconte, larmes aux yeux, un chef de famille de Kibati (territoire de Nyiragongo).

Parfois les soldats du M23 revendaient des terrains confisqués à des personnes nanties qui les ont transformés en pâturage. Aujourd’hui, cela cause de nouveaux conflits fonciers. « Les propriétaires menacent de se rendre justice eux-mêmes si l’Etat n’intervient pas rapidement dans ce dossier », indique Jean-Paul Mbabaze, président de la société civile de Rutshuru.

Des mesures

Le gouvernement, avec l’aide la Monusco, s’attelle à rétablir son autorité sur les territoires libérés. « Les autorités locales administratives et coutumières remplacées par les groupes armés ont été rétablies dans leur fonction pour réinstaurer l’autorité de l’Etat », indique Julien PalukuKahongya, gouverneur du Nord-Kivu.

Mais, pour cela, il faut que la force publique soit présente et visible partout, ce qui est loin d’être le cas, comme l’explique le général Awachango, qui commande la police provinciale au Nord-Kivu. « Les éléments de la police nationale sont déployés dans les territoires jadis occupés par les groupes armés, mais l’effectif est encore insuffisant face à l’étendue à couvrir. Nous attendons des renforts de Kinshasa, avec l’appui de la Monusco », assure-t-il.

Malgré le lancement, lors d’un Conseil des ministres extraordinaire tenu à Goma lors du passage du président de la République, d’un programme de réhabilitation des territoires occupés, l’application de mesures sur le terrain tarde. Or, remarque Janvier Mambo, juriste et activiste des droits de l’homme, « si la situation perdure, elle sera difficile à gérer et risque d’engendrer de nombreux conflits ».

Par Désiré Bigega

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