Rencontre avec Abdellatif Kechiche, réalisateur de Vénus noire

Après L’Esquive et La Graine et le mulet (gagnants de quatre prix César dont celui de Meilleur film en 2005 et 2008), Abdellatif Kechiche récidive avec cette fois, un fait historique. Vénus Noire retrace le parcours d’une esclave au 19e siècle, Saartjie Baartman. Plus connue sous le nom de la Vénus Hottentote, l’esclave sud-africaine est exhibée comme un phénomène de foire à cause de son physique considérée comme monstrueux par les Européens. Abdellatif Kechiche était de passage à Montreal et Touki Montréal l’a suivi au cours d’une rencontre avec les étudiants en études cinématographiques de l’Université de Montréal.

« Pardonnez-moi de vous déranger, mais je suis là, il faudra faire avec », annonce Abdellatif Kechiche. C’est un peu de cette façon qu’on pourrait décrire le dernier film du cinéaste franco-tunisien : il est dérangeant, mais c’est un fait.

COMMENT AVEZ-VOUS DÉCOUVERT LE CAS DE LA VÉNUS HOTTOTENTE?

En 2000, la diplomatie sud-africaine demandait ses restes à la France. J’ai fait des recherches sur internet, ainsi que dans des bibliothèques à New York et en Afrique du Sud. J’ai pu voir le moulage de son corps et l’expression de son visage. Cette femme a souffert toute sa vie. Après sa mort, pendant 200 ans, les scientifiques ont parlé de ses attributs. Ils avaient tout mesuré. C’est certainement le plus grand outrage qu’un être humain peut connaitre.

VOUS ÊTES-VOUS BASÉS SUR LES FAITS HISTORIQUES OU AVEZ-VOUS LAISSÉ UNE PLACE À L’INTERPRÉTATION?

Tout ce qui est raconté dans le film a existé d’une façon ou d’une autre. Par exemple, les spectacles de foire se déroulaient exactement de cette façon.

Pour les scènes d’exhibitions dans les salons libertins ou avec les scientifiques, les faits historiques disent encore plus que ce que j’ai montré. Je n’ai pas laissé plus de place à la fiction parce que j’ai voulu respecter ce personnage énigmatique, ce mystère.

CERTAINES SCENES SONT ÉPROUVANTES, CE N’ÉTAIT PAS TROP DUR POUR L’ACTRICE PRINCIPALE?

Je lui demandais de mettre les limites elle-même. Elle a dû surmonter une certaine pudeur, mais elle était fière de jouer ce personnage important. Elle avait conscience que je voulais montrer sa beauté et son érotisme.

EST-CE QUE LE RELATIF ÉCHEC DU FILM VOUS A SURPRIS?

Non. Au cinéma, on refuse les scènes crues parce qu’elles ne sont pas des scènes d’amour édulcorées. Je trouve ça un peu pudibond de refuser de voir la chair telle quelle. En refusant cette convention, je pouvais m’attendre à un rejet d’une grande partie du public, notamment sur ce qui est sexuel sans être de l’amour.

CERTAINS PENSENT QUE VOUS AVEZ VOULU ATTAQUER LES PRATIQUES FRANÇAISES DE L’ÉPOQUE.

On a souvent pensé que j’étais celui qui accusait une population et ça me blesse qu’on me regarde comme un étranger qui critique les Français.  On se trompe quand on regarde mes films comme ça. Les gens devraient les regarder en tant qu’être humain.

LE FILM SEMBLE DONNER BEAUCOUP MOINS DE PLACE À L’IMPROVISATION QUE POUR L’ESQUIVE, PAR EXEMPLE.

Je ne crois pas que l’improvisation donne plus de vérité que le dialogue écrit. Tout dépend de la scène et de l’ambiance du plateau. Pour la Vénus noire, si les acteurs avaient improvisé, il y aurait eu une difficulté en plus, puisque certains dialogues sont en Afrikaans.

Dans ce cas, je ne pouvais laisser les acteurs allaient plus loin dans l’improvisation. La liberté ne se situait peut-être pas dans le texte, mais dans l’espace.

EST-CE QUE LE SUCC?S A CHANGÉ QUELQUE CHOSE À VOTRE PROCESSUS DE CRÉATION?

Je me libère des conventions, de ce qu’attend le public. J’essaie de trouver une justesse entre ce qu’on attend de moi et ce que j’ai envie de faire. J’ai besoin de bousculer les principes narratifs pour essayer de ne pas devenir un « faiseur ». Le résultat au cinéma c’est souvent des chiffres.

Avec la Vénus, je me suis libéré.  Je suis allé vers ce qui bouillonnait en moi et j’aurais trouvé ça indécent par rapport au personnage de chercher à séduire.

QUELS SONT VOS PROJETS POUR L’AVENIR?

Je rencontre des producteurs. Il y a des projets qui naissent au jour le jour. Pour le moment, ce dont je suis sûr c’est que je n’ai pas envie de faire un film sombre parce que ça fragilise trop.

Le film Vénus noire sera projeté dans les salles du Québec dès le 1er avril

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