Reni Eddo-Lodge, celle qui ne veut plus parler de racisme avec les Blancs

L’essai Why I’m No Longer Talking To White People About Race, publié en français sous le titre Le racisme est un problème de Blancs, aborde de front les sujets épineux du racisme structurel et celui du privilège blanc (white privilege). Depuis sa publication, l’auteure britannique Reni Eddo-Lodge est devenue l’une des voix les plus importantes de l’antiracisme. Son livre est un ouvrage indispensable que Touki Montréal a lu pour vous.

La genèse du livre : un billet de blogue

À la base, Why I’m No Longer Talking To White People About Race (pourquoi je ne parlerai plus de race avec les Blancs) est le titre d’un billet de blogue remontant à 2014. Dans ce texte au titre provocateur, Reni Eddo-Lodge fait part de son exaspération : elle n’en peut plus de ces personnes blanches qui refusent de reconnaître l’existence du racisme structurel.

La jeune femme, alors âgée de 24 ans, prend une grande décision : pour se protéger mentalement, elle ne parlera plus de race et de racisme avec ses compatriotes blancs. Elle saisit alors sa plume (ou plutôt son clavier), rédige une diatribe de 950 mots pour le faire savoir et la publie sur son blogue personnel.

En voici un extrait :

« À partir d’aujourd’hui, je n’aborderai plus la question de la race avec des Blancs. Pas tous les Blancs – juste l’écrasante majorité d’entre eux, qui refusent de reconnaître l’existence du racisme structurel et de ses symptômes. Je n’en peux plus du détachement vertigineux qu’ils affichent quand une personne de couleur leur raconte son vécu. (…) Souvent, leur but n’est ni d’écouter, ni d’apprendre, mais d’exercer leur pouvoir, de me prouver que j’ai tort, de me  “vider” émotionnellement avant de revenir au statu quo. Je ne parlerai donc plus de race avec des Blancs, sauf si c’est absolument nécessaire. (…) Je ne veux plus avoir affaire avec des gens qui ne veulent pas écouter ce que j’ai à dire, qui ne cherchent qu’à s’en moquer et qui, honnêtement, ne le méritent pas. »

« Quand j’ai publié ce billet, j’étais pessimiste et triste, car quand je parlais de mon expérience du racisme à mes amis, camarades ou collègues blancs, on me répondait que c’était dans ma tête. On met ça sur le compte de la sensibilité, pas de l’injustice. Il me fallait raconter cette sensation d’effondrement qu’on ressent face au déni de cette souffrance dévastatrice », explique-t-elle dans une entrevue avec Le Monde Afrique.

Le succès de ce billet de blogue est instantané. L’article devient viral sur la toile et est partagé un nombre incalculable de fois sur les médias sociaux. L’auteure s’attendait à recevoir le lot de commentaires désobligeants et racistes que peuvent susciter ce genre de textes. À son grand étonnement, ce sont les remerciements qui sont les plus nombreux.

Des personnes noires et issues des minorités ethniques la remercient d’avoir écrit un texte qui résume de façon aussi juste leurs propres expériences face au racisme. L’auteure reçoit également des messages de la part de personnes blanches. Certaines d’entre elles sont « désolées » qu’elle ait pu être victime de racisme. D’autres s’excusent de jouir de privilèges sans s’en rendre compte et lui demandent « de ne pas laisser tomber les Blancs ».

Reni Eddo-Lodge prend alors conscience d’une chose : son texte a touché une corde sensible. Le sujet de la race et du racisme interpelle les gens, qu’ils soient Noirs ou Blancs. C’est ainsi qu’elle décide de transformer son texte de 950 mots en livre de plus de 250 pages.

Le racisme structurel au coeur du livre

L’ouvrage de Reni Eddo-Lodge est divisé en sept parties en plus d’une préface. Après avoir posé quelques bases à propos de l’histoire des Noirs et du racisme au Royaume-Uni, la journaliste et auteure s’attarde sur les deux éléments centraux de son livre : le racisme structurel (ou systémique) et le white privilege. Ce sont deux notions assez difficiles à saisir, concède la journaliste et auteure. « [Ce livre] traite du racisme non seulement dans sa dimension explicite, mais aussi dans ses aspects les plus sournois, les plus difficiles à définir », écrit-elle dans la préface.

Que veut exactement dire Reni Eddo-Lodge lorsqu’elle parle de racisme structurel? Selon elle, le racisme n’est pas une histoire de bons ou de méchants, mais plutôt la conséquence d’un système.

« Si toutes les formes de racisme étaient aussi faciles à détecter, à identifier et à dénoncer que l’extrémisme blanc, le travail des antiracistes serait un jeu d’enfants. (…) On aime à se dire que les gens bien ne peuvent pas être racistes. On se conforte dans l’idée que le véritable racisme n’existe que dans le coeur des gens mauvais. On se raconte que le racisme est une question de valeurs morales, alors qu’il s’agit de la stratégie de survie du pouvoir systémique », résume-t-elle dans la deuxième partie intitulée « Le système ».

Photo: Twitter @renireni

Ce racisme structurel, insidieux, « avance masqué ». Il nous glisse entre les mains, comme un serpent d’eau dans celles d’un enfant, image l’auteure britannique. Le racisme structurel, ce sont des dizaines, des centaines, voire des milliers d’individus animés des mêmes préjugés qui se réunissent et agissent en conséquence. Le racisme structurel, c’est une culture organisationnelle blanche, impénétrable, créée par ces mêmes individus (…) Le terme structurel est souvent le seul moyen de désigner ce qui est imperceptible. »

Et le privilège blanc dans tout ça?

Comme le rappelle Reni Eddo-Lodge, dans nos sociétés occidentales, le blanc est la couleur « par défaut ». Celle de la neutralité et de l’universalité. « [Les Blancs] n’ont jamais eu à penser ce que ça signifiait, en termes de pouvoir, d’être blancs. Alors, à chaque fois qu’on leur rappelle vaguement ce fait, ils l’interprètent comme un affront », écrit-elle.

Le privilège blanc est l’une des raisons pour lesquelles Reni-Eddo-Lodge a arrêté de parler de race et de racisme avec des personnes blanches. Nombreux sont ceux et celles qui refusent de reconnaître son existence, tout comme le racisme structurel. Toutefois, le mot « privilège » n’a rien à voir avec la richesse tempère-t-elle.

« Quand je parle de privilège blanc, je ne veux pas dire que tout est facile pour les Blancs, qu’ils n’ont jamais eu à se battre ou qu’ils n’ont jamais connu la pauvreté. Le privilège blanc signifie plutôt que, si vous êtes blanc, votre race aura très certainement, d’une manière ou d’une autre, une influence positive sur votre parcours de vie. Sans même que vous ne vous en rendiez compte », souligne l’auteure.

Le privilège blanc est une absence : l’absence de discriminations structurelles, l’absence de préjudices basés sur la couleur de votre peau, l’absence d’une marginalisation subtile (ou non) dans la société dans laquelle vous vivez. Pour Reni Eddo-Lodge,  définir cette absence revient à bouleverser l’universalité de la blancheur. « On rappelle aux Blancs que, pour nous autres, leur expérience n’est pas la norme », résume-t-elle.

Petit conseil de l’auteure : toujours faire preuve de prudence lorsqu’on s’engage dans une conversation à propos de la race et du racisme avec des personnes blanches, même avec celles dont vous avez confiance. « Vous n’avez pas le privilège de pouvoir engager une conversation sur le racisme en partant du principe que les autres partageront votre point de vue. Parler de racisme dans une conversation, c’est toujours à quitte ou double. Que vous ayez en face une personne que vous venez juste de rencontrer ou avec qui vous vous êtes toujours senti à l’aise et en sécurité, vous ne savez jamais à quel moment la discussion peut déraper, menacer votre sécurité physique ou votre position sociale. »

Un brillant outil pour contrer le racisme

Why I’m No Longer Talking To White People About Race est un merveilleux outil pour tous ceux qui s’intéressent à la question du racisme, mais également aux autres, ceux qui pensent que le racisme n’existe que dans la tête de ceux qui la subissent. Cet essai est un véritable tour de force tant son propos est clair et extrêmement bien documenté.

Plus d’une année après sa publication au Royaume-Uni, l’ouvrage de Reni Eddo-Lodge est déjà présenté comme une véritable référence sur le sujet de la race et du racisme. Lancé comme un pavé dans la mare, ce livre égratigne au passage le modèle du multiculturalisme dont le Royaume-Uni est si fier.

Même si l’ouvrage est centré sur la société britannique, les concepts de racisme structurel et de privilège blanc sont tout à fait transposables à d’autres sociétés comme la France ou encore le Canada, car ce sont là des mécanismes inhérents à des sociétés où le Blanc est considéré comme la couleur par défaut. Des sociétés dans lesquelles le racisme imprègne et affecte l’égalité des chances des personnes issues des minorités visibles et ethniques.

Évidemment, les propos de Reni Eddo-Lodge vont être remis en question, notamment par ceux et celles qui refusent de voir les races (on parle ici de races au sens de construction sociale, pas de races biologiques, qui elles, n’existent pas). Ceux et celles-là qui refusent de voir la race (les colour blind comme les appelle l’auteure) avancent que parler de race amène le racisme. Reni Eddo-Lodge n’est bien évidemment pas de cet avis.

« La colour-blindness offre une vision naïve et réductrice du racisme. Elle se contente d’affirmer que “le fait de discriminer certaines personnes en raison de leur couleur de peau, c’est mal”, en oubliant totalement que dans ce type d’échanges s’exerce un pouvoir structurel. (…) la colour-blindness réfute l’existence du racisme structurel et l’histoire de la domination raciale blanche, écrit-elle. Elle ne prend pas le problème du racisme à la racine. »

L’auteure pense-t-elle qu’on verra un jour le bout du problème du racisme? Non. Pas avant qu’un « débat pénible et compliqué n’ait d’abord eu lieu ». Son ouvrage n’offre ni recette magique, ni happy end. Mais les choses commencent à changer. Lentement, mais sûrement. Et l’ouvrage de Reni Eddo-Lodge est un très bon point de départ pour commencer la conversation. On vous le recommande chaudement.

Notre note : un bon 9/10.

1 COMMENTAIRE

  1. Ce qui est décrit dans cet article est exactement ce que j’ai vécu avec mes collègues de travail dernièrement: j’évoquais une situation très embarrassante vécu au moment du déjeuner avec un collègue blanc un peu frustré qui racontait une anecdote. Il racontait qu’il faisait du vélo le soir et qu’il avait failli percuter un « homme black à vélo…l’homme était si black, mais tellement black » je cite…qu’il a failli le percuter car il lui était difficile de le voir tant il faisait nuit… »il aurait dû sourire au moins, ainsi il l’aurait vu »…..j’ai fait remarquer que ce qu’il disait était limite… pour ne pas dire raciste et une collègue l’a défendu en affirmant que « les noirs, dans le noir c’est pas facile de les voir… »
    j’en ai parlé plus tard aux collègues qui étaient absents lors de cet événement..et ils n’ont rien trouvé de choquant dans ces propos et les ont d’ailleurs validé…me reprochant de voir du racisme là où il n’y en a pas… »oh on ne peut plus rien dire sans être jugé de raciste »  » et puis tu sais tu te trompes sur lui, il n’est vraiment pas raciste »..hum la fameuse réplique qui me hérisse les poils…
    ce que mes collègues ne savent pas c’est que ce gars passe son temps à faire des raccourcis très très limite…j’ai été en arrêt maladie pendant une longue periode..quand je suis revenue il n’a rien trouvé de mieux que de me demander si je n’étais pas allée aux Antilles pendant cette période et que j’aurai dû en profiter pour y aller…
    Il ramène tout à mes origines, ma couleur de peau..( il ignore tout de moi..je ne suis pas antillaise mais une brésilienne adoptée par des antillais..et ma soeur également adoptée, est Africaine)…mais avant tout nous sommes nées en France, à paris et sommes comme lui bien françaises; ma famille vit dans le sud de la France et pour certains, ils ont un accent ardéchois très prononcé….mais non il ramène tout à ma couleur de peau..pauvre type…

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