Entends ma voix : un documentaire qui tente d’amorcer le dialogue après la polémique SLAV

Diffusé sur ICI ARTV, le documentaire Entends ma voix revient sur la polémique SLAV, six mois après l’annulation de cette pièce très controversée de Robert Lepage et Betty Bonifassi par le Festival international de jazz de Montréal. Ce film de 50 minutes fait asseoir à la même table les créateurs de ce projet et ses détracteurs pour créer un dialogue et faire avancer le débat.

Petit rappel de la polémique SLAV

Il faut tout d’abord rappeler que SLAV a déchaîné les passions au Québec, l’été dernier. Dès son avant-première au Théâtre du Nouveau Monde (TNM), le 26 juin 2018, une manifestation s’était organisée aux abords du théâtre.

La raison? Les manifestants dénonçaient ce qu’ils appelaient de «l’appropriation culturelle», car la pièce de Robert Lepage et Betty Bonifassi (tous les deux blancs) reprenait de nombreux chants d’esclaves noirs alors que seules deux interprètes sur les six choristes présentes sur scène étaient noires.

S’en est suivi un long débat public (ou plutôt confrontation?) très polarisant entre deux camps : ceux qui soutenaient la pièce et ceux qui étaient contre. Ceux qui soutenaient le projet mettaient de l’avant la liberté d’expression et de création (dans un communiqué diffusé quelques jours après l’annulation du spectacle, Robert Lepage disait que « cette annulation est un coup porté à la liberté d’expression artistique »).

De l’autre côté, les opposants déploraient la sous-représentativité des personnes noires et issues des minorités visibles dans les oeuvres culturelles au Québec et aussi du racisme systémique.

Donner la parole aux deux camps

Ces sujets sensibles, pour ne pas dire explosifs, ont occupé l’espace médiatique pendant de longues semaines au Québec. Mais ces deux camps ont-ils réellement pu discuter et échanger leurs points de vue?

C’est ce qu’ont tenté de faire la journaliste Véronique Lauzon et les réalisateurs Maryse Legagneur et Arnaud Bouquet dans leur documentaire Entends ma voix. Le trio donne la parole aux protagonistes de façon la plus neutre possible, sans jamais prendre parti.

La journaliste Véronique Lauzon entourée des réalisateurs Maryse Legagneur et Arnaud Bouque

Les deux camps vont également se rencontrer pour affronter leurs points de vue, mais surtout, pour dialoguer (ou du moins, essayer).

Ainsi, Betty Bonifassi va aller à la rencontre de Webster, rappeur et historien très engagé dans la cause des Noir.e.s au Québec. Ce dernier avait été approché par Ex-Machina, la compagnie théâtrale de Robert Lepage, pour jouer le rôle de consultant pour la pièce SLAV. Mais il s’était retiré du projet après avoir appris qu’il n’y avait pas de personnes noires qui jouaient le rôle des esclaves sur scène. Un projet qu’il trouvait «problématique» dès le début.

«Il y avait un problème autour de tout ça »

La rencontre entre Bonifassi et Webster, qui, d’ailleurs, se connaissent, est très cordiale devant la caméra. Mais Betty Bonifassi est visiblement décontenancée lorsque le rappeur de Québec lui lance qu’il a été content lorsqu’il a su que la pièce était annulée.

Webster

«Je n’étais pas malheureux. (…) Il y avait un problème autour de tout ça», explique-t-il. Bonifassi accuse le coup, mais reste néanmoins à l’écoute. Cette rencontre est l’une des plus intéressantes du documentaire.

Autre rencontre intéressante, bien que tendue par moments : celle entre Betty Bonifassi et Lucas Charlie Rose, le rappeur et activiste montréalais, instigateur de la manifestation devant le TNM lors de l’avant-première.

Polie et cordiale (au début, du moins), la discussion entre les deux artistes tourne notamment autour de la fameuse scène hautement décriée dans laquelle on voyait des femmes blanches cueillir du coton habillées en esclaves. Une scène qui ne fera plus partie de la version revisitée du spectacle.

Betty Bonifassi et Lucas Charlie Rose

La directrice du TNM, Lorraine Pintal, rencontre quant à elle l’artiste Emrical, un virulent détracteur de la pièce qui n’hésitait pas à crier à l’appropriation culturelle. Au début de leur rencontre, la gêne est palpable.

Après quelques échanges, Mme Pintal croit que [la polémique] « nous a fait reculer (…) sur la compréhension de votre réalité ». Emrical, lui, décrie une industrie culturelle et médiatique québécoise uniformément blanche. Un échange qui ressemble plutôt à un dialogue de sourds.

De nombreux intervenants

En plus de Betty Bonifassi, de Robert Lepage et des personnes citées un plus haut, le documentaire fait intervenir Marilou Craft, l’auteure qui s’est questionnée la première sur SLAV dans un article publié sur le site d’Urbania en novembre 2017; la militante Émilie Nicolas qui démystifie les concepts de représentation, d’appropriation et de racisme systémique.

Il y a aussi l’ethnologue Jérôme Pruneau qui avait prévenu le TNM «qu’ils allaient au-devant d’un tsunami médiatique» avec SL?V ; l’ancien ministre Maka Kotto qui parle «d’appréciation culturelle» ; l’artiste afro-américain Moses Sumney qui avait annulé sa prestation au Festival international de jazz de Montréal pendant la controverse et plusieurs choristes de SL?V qui donnent leur avis sur la polémique.

Toutefois, en 50 minutes, il est difficile d’aller en profondeur sur la question, surtout avec autant d’intervenants. Et c’est le seul reproche qu’on pourrait faire à ce documentaire.

Il faut voir Entends ma voix comme le début d’une discussion, difficile, mais nécessaire. Il y a quelques semaines, Robert Lepage admettait dans une lettre avoir commis des «maladresses» et des «manques de jugement» lors du processus de création de sa pièce SL?V. «En ce début d’année, je me propose d’essayer de faire mieux», a-t-il écrit.

Est-ce que la version remaniée de la pièce saura satisfaire à ses détracteurs? La réponse le 16 janvier pour la première représentation de SL?V version 2.0 à Sherbrooke.

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