HEC Montréal. Samedi 12 mars. Rencontres Maitres chez vous 2016 de Force jeunesse. Malgré son retard, Christiane Taubira se trouve en terrain conquis devant quelques centaines de jeunes venus assister aux différentes conférences du jour. Ovation debout avant de prendre la parole. Même chose une heure plus tard à l’issue d’un discours sur l’état de droit, les enjeux pour la démocratie et le rôle de la jeunesse.
Le charme, les talents d’oratrice et l’incontestable charisme de la femme politique guyanaise ont agi. De Hugo Dumas à Guy A. Lepage, les médias lui ont déroulé le tapis rouge.
Les animateurs et chroniqueurs ont notamment mis de l’avant le courage de celle qui a démissionné en janvier dernier, pour cause de désaccord sur le projet de réforme constitutionnelle prévoyant la déchéance de nationalité des terroristes binationaux. L’idée est défendue par le président François Hollande depuis les attentats du 13 novembre 2015 à Paris.
Sa «conscience» était plus importante que son devoir de loyauté au président, répète-t-elle plusieurs fois, le 12 mars. Aujourd’hui libre de dire ce qu’elle entend, la voilà résolue à parler aux nouvelles générations pour «rendre des comptes», mais aussi pour leur montrer la voie et les encourager à agir.
Les Français savent que Christiane Taubira aime citer les grands auteurs et philosophes pour appuyer son propos. Ici, ces jolies phrases noient le lecteur, tout comme certaines envolées lyriques.
Par ailleurs, on reste en droit d’attendre autre chose d’une telle personnalité que d’enfoncer les portes ouvertes pour souligner que les jeunes ont cherché à faire preuve d’une «résistance folâtre et radieuse» après le 13 novembre.
Convaincante sur la déchéance de nationalité
L’essai conserve malgré tout un double mérite. Christiane Taubira y contredit le premier ministre français, Manuel Valls, qui a toujours affirmé qu’il ne fallait pas chercher à «expliquer» d’un point de vue sociologique les actes des terroristes, car ce serait «déjà vouloir un peu excuser».
«Chacun est responsable de ses actes et doit en répondre. Ne renonçons pas cependant à disséquer la mécanique de cet embrigadement sectaire, ni à déceler les insatisfactions qui le servent», lui répond son ancienne ministre.
Néanmoins, l’ex-ministre ne s’étend pas trop lorsqu’il s’agit d’avancer des tentatives d’explications. Certes, «les auteurs de l’état du monde, avec […] ses dynamiques économiques et sociales qui fabriquent à large échelle des pauvres, des migrants de la misère», sont pointés du doigt.
Elle n’hésite pas non plus à affirmer que si «les musulmans n’ont pas à y voir en tant que tels, l’islam a à y voir. Toutes les religions génèrent du fondamentalisme».
Christiane Taubira convainc surtout lorsqu’elle explique son désaccord avec le projet de déchoir de leur nationalité les terroristes binationaux. Il y a évidemment l’argument de l’inefficacité de la mesure, entendu souvent depuis le début des débats sur la question: en quoi cela empêchera-t-il quelqu’un de vouloir se faire sauter?
Par ailleurs, si le terroriste était encore vivant après son acte, «cette déchéance ne surviendrait qu’au terme de l’exécution d’une condamnation à une longue peine, soit largement le temps pour l’autre pays de nationalité de déchoir ce condamné afin d’éviter d’avoir à l’admettre sur son territoire». Dès lors, qu’en ferait-on?
Pris au piège avec cette mesure, le président et le gouvernement français ont eu récemment l’idée d’étendre le projet de déchéance de nationalité à tous les Français. Au risque de créer des apatrides, ce que lui interdisent les conventions internationales.
Pour Christiane Taubira, cela équivaudrait à un «égalitarisme [qui] nivelle, par le bas et par le pire».
Au final, l’ex-garde des Sceaux se montre ici bien plus efficace pour démonter des idées qui lui déplaisent que pour avancer des solutions.