Des Rwandaises avortent à Goma

Craignant d’être arrêtées chez elles, de plus en plus de Rwandaises, parfois des adolescentes, viendraient avorter clandestinement à Goma, à l’est de la RD Congo. Là, des « professionnels de santé » ne se soucient ni de la loi, ni de leur âge, ni des conditions sanitaires très dangereuses de ces interventions…

(Syfia Grands Lacs/RD Congo)

Un effet inattendu de la meilleure entente. Depuis le rétablissement des relations diplomatiques entre Kigali et Kinshasa en 2009, plus de Rwandaises viendraient avorter clandestinement à Goma. Dans cette ville congolaise qui partage la frontière avec, de l’autre côté Gisenyi, elles risqueraient en effet moins d’être arrêtée que dans leur pays. En RDC comme au Rwanda, celles qui avortent et ceux qui pratiquent ces interventions illégales risquent la prison.

Le plus souvent abandonnées à leur sort par leurs amants et leurs familles, les femmes, parfois encore des mineures, sont obligées de se cacher quand elles ne veulent pas donner la vie.

Fin février, l’une d’entre elles, âgée de 16 ans seulement et interne à Kigali, est partie à Gisenyi. « En la voyant chercher une place à la paroisse pour la nuit, j’ai compris qu’elle avait un problème », se souvient une enseignante de cette ville.

Après l’avoir accueilli dans sa maison, elle l’a suivie jusqu’à Birere, un quartier populeux de Goma connu pour ses avortements clandestins.

« Comme elle n’a pas voulu me donner les coordonnées de son amant, j’ai fouillé dans son répertoire téléphonique pour avertir sa mère », précise l’enseignante. Le lendemain, l’adolescente retournait au Rwanda avec son père…

« Certaines nous arrivent ici mourantes »

Les échos de l’existence de « cabinets médicaux clandestins » à Birere ont donc traversé la frontière congolaise pour atteindre le Rwanda. Là-bas, on sait aussi désormais que pour 50 $, même une fille de 15 ans peut contacter, seule ou accompagnée de sa mère, des intermédiaires d’infirmiers de Goma ou de charlatans soi-disant « professionnels de santé ». Certaines mères agiraient en cachette pour éviter des désaccords avec leurs maris, selon les commerçantes du petit marché de Birere.

Ces dernières ajoutent que si la plupart des filles des familles pauvres n’avortent pas, c’est moins par souci de moralité que par manque de moyens… « Elles tournent autour des cabinets médicaux clandestins pour finir par accoucher six mois plus tard », observe une des commerçantes.

Celles qui ont assez d’argent pour avorter le font dans des conditions désastreuses : sur une natte, dans une baraque insalubre, avec du matériel parfois non stérilisé. Les jeunes femmes ne se présentent dans de vraies structures médicales qu’en cas de complications gynécologiques graves après l’interruption volontaire de grossesse. « Certaines nous arrivent ici mourantes », affirme un gynéco-obstétricien de l’hôpital général de référence charité maternelle, à l’est de Goma. Ce qui le pousse à ne réaliser que des actes techniques : la ligature ou l’ablation des trompes, avec l’accord de la famille.

Pour Sylvain Kilufia, procureur général près la Cour d’appel de Goma, « les médecins sont aussi complices des avortements criminels par leur silence »… Difficile, en tout cas, d’identifier ces filles et surtout ceux qui les font avorter dans de telles conditions…

Un mal très profond

Pour certains, Birere est l’incarnation de tous les maux de Goma : criminalité, prostitution, alcoolisme, drogue, insalubrité, promiscuité, manque d’accès… Fin 2009, plus de 700 bicoques sont ainsi parties en fumée à la suite d’un incendie accidentel. Le camion anti-incendie de la mission de l’Onu y était arrivé trop tard, via Gisenyi, par manque de routes. Les détracteurs de ce quartier soutiennent donc la décision de la mairie de le raser le jour où un investisseur immobilier se présentera, persuadés que sa fin signifiera, entre autres, la fin des avortements clandestins.

D’autres estiment que le mal est plus profond, que la Justice devrait poursuivre dès à présent les avortements clandestins avec la même rigueur que les violences sexuelles et qu’il faudrait plus de prévention en amont. « Nous combattons ce phénomène en sensibilisant les femmes de Goma », assure Claudine Kafirongo, vice-présidente de la Dynamique-Femme, une organisation interconfessionnelle féminine de la ville pour la réconciliation et la cohabitation pacifique.

Elle demande aussi « l’implication de l’autorité administrative et des actions policières coercitives. » En clair : des sanctions en direction des filles, mais aussi et surtout des pseudo professionnels de santé. Reste également aussi, sans doute, à responsabiliser les hommes et les familles qui ne laissent en réalité le plus souvent guère d’autre choix à ces femmes et à ces adolescentes…

Par Taylor Toeka Kakala

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