Allemagne : les Africains au rendez-vous des désillusions

Souvent sans argent, sans travail, pourchassés par la police, de nombreux Africains venus en Allemagne y vivent misérablement. Certains se lancent dans le trafic de drogue ou la prostitution. Très rares sont ceux qui avouent leurs difficultés à leurs proches restés au pays entretenant des illusions trompeuses. Reportage en Allemagne.

Mi-mars : l’hiver se prolonge en Allemagne comme dans toute l’Europe, il fait froid, très froid. À Hambourg, un port sur la mer du Nord, de jeunes Africains en groupe, écharpes autour du cou et chapeaux sur la tête, à peine reconnaissables, vont regarder un match de la Ligue des champions. En marchant, ils regardent de tous côtés, sur le qui-vive. ?La plupart sont sans papiers ou sans travail. Certains pratiquent des activités illégales comme la vente de drogue. Ils jouent à cache-cache avec la police?, explique Chengetayi, un Zimbabwéen qui fait des études dans ce pays.

Photo : Une vue de Hambourg en Allemagne ; Louis Volant, Flickr

Certains se cachent ; d’autres travaillent dans des restaurants ou dans des hôtels où ils font la cuisine, servent ou nettoient les poubelles ; parfois dans les alimentations. ?Ils remplissent les conditions minimales pour être embauchés : être en possession du permis de vivre dans le pays et maîtriser l’anglais, parlé par la plupart des étrangers vivant en Allemagne?, affirme le gérant de l’Hôtel maritime à Hambourg.

Faire croire à la belle vie

D’autres se tournent vers la prostitution. ?Ce type-là, c’est un gay (homosexuel, Ndlr), fais attention », prévient un Turc, serveur dans un restaurant de Berlin, informant Mamadou Faye, un Sénégalais en formation qui converse avec un voisin gambien. ?Il a des rendez-vous ici.

Il peut croire, si vous engagez de longues conversations avec lui, que vous êtes un client potentiel?, ajoute-t-il. À Berlin en effet, l’homosexualité est légale et voir des homosexuels blancs ou noirs n’étonne pas les habitants alors que cela choque les Africains de passage, non habitués à ce genre de pratique chez eux. ?Dans son pays, on n’est sûrement pas au courant de ce qu’il fait ici. Probablement qu’il leur raconte autre chose?, remarque M. Faye.

Cacher sa situation réelle à la famille ou aux amis au pays est très courant. Un Burundais, qui étudie en Grèce, rencontré en Allemagne témoigne : ?J’ai travaillé dans un resto avec mes frères africains. Lorsque nous étions payés, certains mettaient leurs plus beaux habits et se faisaient prendre en photo sur de belles places, devant des liqueurs, pour envoyer à leurs proches… » « Je leur disais ‘Pourquoi ne pas prendre de vraies photos de ce que nous faisons au lieu de nous montrer dans un autre état ?' » Lui, dit-il, touchait 570 € par mois, ce qui est très peu pour couvrir le logement (200 €) sans compter les frais de transport, de nourriture et de soins personnels. Grâce à cette image trompeuse, accuse Oyesula Ambimbola, une Nigériane, certains « quand ils reviennent au pays, collectent l’argent des jeunes sous prétexte de leur chercher de l’emploi et ils engrossent des jeunes filles naïves fières d’avoir des fiancés vivant en Europe?.

Faire n’importe quoi pour vivre

Gagner sa vie en travaillant n’est pas à la portée de tous. ?S’il te plaît, passe-moi 2 €. J’ai besoin d’un ticket pour me déplacer et je n’ai aucun travail ni de sous sur moi?, mendie ce jeune Africain. Visiblement abattu et affamé, il demande de l’argent sans doute plus pour manger que pour le transport. Sans avoir les compétences demandées ou sans être étudiant décrocher un emploi quel qu’il soit n’est pas facile. Même ceux qui ont fait des études n’obtiennent pas nécessairement un emploi correspondant à leur formation. Ils finissent par se faire embaucher dans des compagnies de sécurité, de transport en commun…

Beaucoup d’Africains se font des illusions sur les jobs qu’ils peuvent trouver en Europe. ?Ils croient que les besoins sont les mêmes ici que chez eux et se disent qu’ils peuvent être chauffeurs, bonnes ou boys, bref s’occuper de ce que ‘les Blancs’ ne font pas », dit l’un d’eux. Mais une fois arrivés, ils se rendent compte qu’en Europe, chacun s’occupe de ses affaires, conduit sa voiture, fait la cuisine, car employer du personnel de maison coûte très cher.

Tous ceux qui sont venus d’Afrique gardent leur pays dans leur cœur et suivent de près la situation. ?Que le Seigneur aide le Sénégal à ne pas tomber dans la guerre civile !?, implore un Sénégalais, préoccupé lors des dernières élections. Même ceux qui ont de bons emplois, bien payés, n’oublient pas leur pays pour autant. ?Je veux bien retourner au Rwanda et y travailler. Mais j’ai peur que la situation politique ne change?, confie ce Rwandais qui vit dans une des grandes villes d’Allemagne. Il n’a vécu ni la guerre de 1990, ni le génocide de 1994 ni l’insécurité de l’après-guerre : ?Je salue, dit-il, le courage qu’ont certains de mes amis qui sont retournés et qui occupent de bons postes donnant leur contribution dans la construction du pays. »

D’autres tirent la sonnette d’alarme pour prévenir ceux qui veulent venir en Europe. ?Ici, il y a beaucoup d’Africains en provenance de différents pays qui viennent de passer plus de cinq ans à la recherche du droit d’asile. Ils ont laissé leur famille derrière eux. Des jeunes tentent des mariages avec des Blancs ou des Blanches… Et quand rien de tout cela ne marche, certains se lancent dans le trafic de drogue avec le risque de se faire attraper à n’importe quel moment par la police?, résume une Rwandaise qui vit à Wolfsburg, une petite ville au centre de l’Allemagne.

À entretenir des illusions, on réserve à ces jeunes de bien mauvaises surprises.

Par Fulgence Niyonagize

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