RDC : la polygamie perd ses attraits à Goma

Les jeunes musulmans délaissent la polygamie. Vie chère, querelles d’héritage, ils ne veulent plus avoir plusieurs épouses comme leurs pères. Quant aux femmes, souvent perdantes, elles rejettent cette forme de mariage non reconnue par la loi.

Syfia International

« Si vous voulez finir comme moi, soyez polygame » : c’est la mise en garde que donne El hadji H. E., septuMosque_Kivu_congo_flickragénaire, à ses enfants. Dans sa grande parcelle du quartier populaire Mapendo de Goma, il vit dans une vaste et vieille maison ; dans le jardin, deux épaves de camion Volvo, derniers signes de la fortune passé de ce père de quarante enfants de huit femmes.

Trop nombreux, il n’a pas pu les scolariser tous. Mais « 22 de mes filles et garçons qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école ont suivi les cours coraniques ». Les cours religieux, un bagage trop maigre pour que la plupart de ces enfants affrontent la vie et trouvent un bon travail. L’un de ses fils, Amadi Rubani, vient de se faire renvoyer de son poste de sentinelle par sa compagnie de gardiennage qui n’embauche plus que des diplômés.

Les autorités musulmanes elles-mêmes déconseillent aux hommes de prendre plusieurs femmes. Après la prière de midi, l’imam Shabani Kiboko explique souvent que la polygamie est incompatible avec la vie de la majorité des Congolais. Rien que doter sa belle-famille devient inabordable. « Vers les années 80, il a suffi à mon père de lire un passage coranique en guise de dot pour que son beau-père lui donne sa fille », se souvient ainsi Salumu Idi à propos de la troisième femme de son père. Par ailleurs peu possèdent encore de grandes étendues à cultiver grâce à une abondante main d’œuvre familiale.

Conflits

Les jeunes musulmans sont de plus en plus nombreux à rejeter la polygamie. Ils se souviennent de la nourriture, toujours insuffisante, à partager entre de nombreuses bouches, ainsi que des disputes, voire des bagarres qui s’ensuivent. Le décès du père est aussi un moment qui déclenche les conflits : souvent, il n’y a pas de testament, le nombre d’enfants excédant de loin les possiblités de partage du patrimoine. Ou alors, des charges supplémentaires sont créées pour certains enfants.

Ainsi d’Ali Moussa, fils aîné de sa famille. Lui ne veut pas épouser plusieurs femmes, car il ne peut pas : son père lui a laissé à son décès la charge de deux de ses femmes avec leurs enfants qu’il doit scolariser. « Voilà l’héritage de mon père : ses épouses et mes frères ».
Des associations de femmes s’impliquent. Elles disent aux femmes que vivre dans sa maison avec son unique mari, c’est bien. Et que, pour s’engager avec un homme déjà marié, c’est mieux de s’assurer qu’il ait des moyens financiers suffisants. Une recommandation elle-même religieuse, puisqu’on la trouve dans la sourate An-Nisaa du Coran. Certaines femmes voient d’un bon œil une vie de couple plus intime, sans rivalités : « J’opte pour la monogamie, car ainsi on peut, avec mon mari, se dire nos secrets sans crainte qu’ils soient divulgués », pense par exemple Yasmin.

Non reconnu par la loi

Ces femmes qui grandissent dans des familles polygames connaissent par expérience les injustices qui frappent les deuxièmes, troisièmes ou quatrièmes femmes. En cas de décès de leur mari, elles sont tracassées par la belle-famille, qui hésite d’autant moins que leurs liens avec le défunt ne sont pas reconnus par loi.

« Après la mort de mon époux, sa famille est venue tout ravir dans ma maison, y compris mes enfants, en disant que je n’étais pas la femme de leur frère », déplore une veuve mère de quatre enfants, qui a aujourd’hui intenté un procès à sa belle-famille pour que ses enfants retrouvent leur part d’héritage. Aujourd’hui membre de l’Union des femmes musulmanes (Unifem), elle profite de son expérience malheureuse pour décourager le mariage polygame.

Pour rappel, selon Anne-Marie Furaha, juriste et chef de programme au sein d’Action sociale pour la paix et le développement (ASPD), une association de défense des droits de l’homme, le Code de la famille (art. 330-333) stipule que le mariage « est l’acte civil, public et solennel par lequel un homme et une femme qui ne sont engagés ni l’un ni l’autre dans les liens d’un précédent mariage enregistré, établissent entre eux une union légale ». L’union conclue selon les seules prescriptions d’une Eglise ou d’une secte religieuse ne suffit donc pas à produire les effets du mariage.

Par Mustapha Mulonda

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