Nord Kivu: les dons alimentaires refusés par les agriculteurs

Les anciens déplacés de guerre du territoire de Rutshuru, au Nord-Kivu à l’est de la RD Congo sont revenus à la production agricole. Ils ne viennent plus prendre les dons alimentaires des ONG. Ils préfèrent attendre de récolter et souhaitent plutôt un appui technique.

(Syfia Grands Lacs/RD Congo)

Sur le terrain de football du stade Rugabo II de Nyamilima, en territoire de Rutshuru, trois véhicules remplis de vivres, en provenance de Goma, attendent depuis deux jours pour distribuer des vivres aux villageois, anciens déplacés de guerre, ciblés par les ONG locales. Avertis par les chefs de villages, ils sont pourtant peu nombreux à se présenter pour recevoir des colis de nourritures. Las d’attendre, les véhicules sont repartis vers Goma avec leurs chargements. « Sur les 2500 ménages ciblés, 420 ménages seulement ont répondu à notre appel », constatent les membres de l’ONG chargée de la distribution.

Le chef du Groupement de Busanza explique leur réticence. « Avant leur réintégration, ils venaient nombreux car ils n’avaient pas d’autres choix », confie-t-il. Depuis qu’ils se sont remis au travail dans les champs, ces villageois ne veulent plus perdre leur temps dans les distributions de vivres et se satisfont de ce qu’ils produisent eux-mêmes.

« Je ne peux pas laisser mes travaux dans les champs et aller faire la queue pendant des journées pour recevoir 5 kg de semoule de maïs, 1 l d’huile et 2 verres de sel que les ONG distribuent pour la famille » s’exclame Alphonse, un chef d’une famille de 10 enfants. « Nous allons bientôt récolter. La saison passée, j’ai produit 18 sacs de haricots, 20 sacs de maïs, des pommes de terre, des patates douces et d’autres légumes. Si tout va bien cette saison, je pourrais produire un peu plus. ».

Des villageois méfiants

Appauvris par la guerre, les déplacés, conscients des difficultés qui les attendaient, ont repris rapidement leurs activités agricoles, dès leur retour dans leurs villages d’origine. Des milliers d’hectares, jadis abandonnés, ont été débroussaillés et remis en culture. Aujourd’hui, ces producteurs se méfient des maigres distributions des vivres qui leur prennent inutilement du temps qu’ils peuvent mieux mettre à profit.

Avec le retour progressif de la paix à l’est de la RD Congo, plusieurs agences et ONG internationales ont arrêté leurs financements, ce qui a conduit certaines organisations locales à arrêter leurs activités. D’autres ont vu le jour, surtout dans la distribution de dons et vivres, dans le cadre de la réintégration des déplacés de guerre. Les vivres sont fournis en grande partie par le PAM, le Programme alimentaire mondial. Les organisations locales qui gèrent ces dons, reçoivent également des fonds pour les dépenses de gestion et d’administration.

Mais il semble qu’une infime partie seulement des dons profite aux bénéficiaires et certains n’hésitent pas à parler de détournements. « On trouve dans le commerce des quantités importantes de semoule de maïs, des bidons d’huile dans des emballages avec l’inscription USAID, don du peuple américain », confie un activiste des droits de l’homme qui a constaté que les produits en question sont vendus par les commerçants.

Ce que déplore le Président de la Société civile de Rutshuru, qui estime que « les ONG locales qui interviennent dans ce domaine s’enrichissent sur le dos des villageois ». Les organisations locales chargées de la distribution des vivres se défendent et révèlent que ce sont les bénéficiaires eux-mêmes qui revendent leurs colis au marché.

Besoin d’un appui technique

L’État n’ayant pas défini une politique d’interventions des ONG, il n’y a pas de cadre précis pour aider ces organisations et certaines sont obligées d’improviser, selon la situation. Et en dehors de la distribution de denrées alimentaires, très peu apportent un soutien à l’activité agricole par exemple. « La FAO (Organisation des Nations unies pour l’Agriculture et l’Alimentation) et quelques autres organismes ont fourni des houes, des machettes et des semences dans certains villages », explique Oscar Kambale, Président de l’ACR (Association des Cultivateurs de Rutshuru).

Selon les autorités locales, les ONG doivent prendre en compte et s’adapter aux besoins actuels des villageois cultivateurs qu’ils souhaitent aider. « Il est préférable qu’elles apportent leur assistance en fournissant des semences améliorées, du matériel aratoire et des engrais, mais aussi dans le suivi sur le terrain, avec des conseils techniques pour un meilleur rendement, estime le Président de l’Assemblée provinciale du Nord-Kivu, lui-même ressortissant de cette localité. C’est mieux que de leur distribuer des denrées alimentaires, surtout quand il s’agit de produits comme le maïs, qu’ils produisent et fournissent à la ville de Goma et à certains pays voisins. »

Par Désiré Bigega

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