Pour la première fois en RD Congo, un Pygmée siège comme député provincial. Premier suppléant aux élections de 2006, il succède au député décédé depuis le 19 mars ce qui ne plaît pas à tout le monde. Il souhaite pouvoir aider les gens de son ethnie qui reste marginalisée.
(Syfia Grands Lacs/Rd Congo)
« C’est une grande surprise pour moi. Je ne m’y attendais absolument pas ! », s’exclame Jérôme Bokele Bondenge. Il reconnaît qu’il ne lui est jamais venu à l’esprit qu’il siégerait un jour à l’Assemblée provinciale de sa province, l’Equateur. Il était, pourtant, le premier sur la liste des suppléants du député José Bankita, décédé en début d’année. Comme le prévoit la loi électorale, c’est lui qui devait lui succéder. Son mandat a fini par être validé le 19 mars, après quelques tergiversations, certains voulant faire passer le deuxième suppléant, un non Pygmée. « Je suis content d’être là. Je crois que cela vient de Dieu », affirme-t-il.
Ce Pygmée de 44 ans, marié et père d’un garçon de 17 ans, était il y a quelques années encore, directeur adjoint d’une école primaire dans le territoire d’Ingende.
C’est à son arrivée à Mbandaka, chef-lieu de l’Equateur, qu’il avait été désigné, peu avant les élections de 2006, premier suppléant de José Bankita, député élu d’Ingende. Ce territoire situé à environ 100 km de Mbandaka est habité à près de 70 % par des populations pygmées.
Déjà à l’époque, c’était une surprise pour lui. « Il ne me connaissait même pas. Je ne sais pas ce qui a déterminé son choix sur ma personne ! »
Défenseur de sa communauté
Son parcours y est sans doute pourbeaucoup. Comme tout enfant pygmée, il dit avoir grandi dans des conditions très difficiles. « J’ai obtenu mon diplôme d’Etat (baccalauréat, Ndlr) en pédagogie générale à 27 ans », dit-il. A cet âge, beaucoup ont certes souvent fini leurs études universitaires. Mais pour un jeune issu de cette minorité ethnique considérée comme “premiers habitants” du pays mais longtemps restée marginalisée, avoir franchi cette étape scolaire était un exploit. Après son diplôme, il travaille d’abord comme pointeur dans une société d’exploitation forestière. Il embrasse ensuite la carrière enseignante, jusqu’à assumer les fonctions de directeur d’école…
« J’avais envie de faire la politique mais avec quels moyens ? Cela m’est arrivé par hasard », avoue-t-il très modestement. C’est pour cette raison, dit-il, qu’il parle d’intervention divine. Maintenant, son plus grand souci est d’aider les membres de sa communauté. « S’il m’était donné à le faire, je commencerai par promouvoir la scolarisation de nos enfants, assurer leurs soins médicaux en construisant des hôpitaux et créer des emplois pour eux », affirme-t-il.
Mais il doit pour le moment apprendre à jouer son rôle de député, qui consiste à voter des lois et à contrôler les actions du gouvernement provincial. Et là, il y a du travail, du moins pour le reste de temps de la législature en cours (moins d’un an). Les Pygmées qui vivent dans la forêt se sentent, en effet, menacés par l’exploitation forestière. « Il faut que l’on pense à nous qui ne vivons que de la cueillette, de la chasse, de la récolte des chenilles et du miel… », prévient-il déjà.
Il veut aller loin
Quand de grosses entreprises signent des contrats d’exploitation forestière avec le gouvernement, Jérôme demande qu’une alternative soit trouvée pour les Pygmées, qui vivent de la forêt. Il attache aussi une importance capitale à l’éducation. Il veut des écoles avec internats, réfectoires et cantines « où nos enfants peuvent trouver de quoi manger », et puis du travail. Il dénonce en même temps l’absence d’impact sur la vie des Pygmées, des programmes soutenus par des fonds de la communauté internationale pour préserver les écosystèmes et créer de nouvelles aires protégées dans leur milieu de vie.
A l’Assemblée provinciale, Jérôme Bokele avoue que certains de ses collègues ont du mal à l’accepter parmi eux. Ce qui explique, dit-il, les manœuvres orchestrées pour empêcher la validation de son mandat. « On traite d’égal à égal, mais il existe toujours une discrimination de la part des députés de certaines ethnies », déplore-t-il. Qu’à cela ne tienne, il veut poursuivre sa nouvelle carrière. Il entend pour cela, se présenter à la prochaine députation provinciale et pourquoi pas, dit-il, à la législative de 2016. « Que Dieu protège ceux qui me soutiennent dans l’exercice de mes fonctions », lance-t-il, en guise de prière.
par Mathieu Mokolo