Des médicaments bien présentés, des tradipraticiens reconnus officiellement, la médecine traditionnelle rwandaise sort de la clandestinité. Plus professionnelle, elle inspire davantage confiance aux patients, d’ordinaire enclins à la confondre avec la sorcellerie.
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Dans les villes rwandaises, les pharmacies de médicaments traditionnels n’ont plus rien à envier à celles de la médecine moderne. Ces magasins sont signalés par des pancartes qui précisent les maladies soignées : « Ici, nous traitons l’hypertension, l’empoisonnement… » On y trouve de petites bouteilles propres, bien rangées et soigneusement étiquetées.
Une nouveauté appréciée, car jusqu’il y a peu, ces médicaments étaient vendus dans les rues ou à la maison. Des tradipraticiens y consultent des patients. Ainsi à Musanze, au nord du pays, ce sont un jeune homme et une dame vêtus de blanc qui accueillent les malades. « Nous les écoutons tranquillement et, en cas de besoin, nous pouvons les traiter par réflexologie (tact ou légers points de pression, Ndlr).
Après nous leur donnons des médicaments », dit la dame qui affirme en accueillir une vingtaine par jour. Désormais, les tradipraticiens travaillent ouvertement grâce à AGA Network Rwanda, une association de médecins traditionnels. Avec l’autorisation du ministère de la Santé, AGA recense, visite et délivre une carte de service les autorisant officiellement à travailler.
La propreté avant tout
Dans une exposition à Muhanga, au sud, en septembre dernier, plusieurs médecins traditionnels étaient fiers d’expliquer ce qu’ils font à ceux qui s’arrêtaient devant leur stand. Pour le non initié, les bouteilles présentées, bien bouchées et propres ressemblent en effet à celles de produits cosmétiques.
Mukashema Alphonsine de AGA explique que ce conditionnement, qui assure une bonne conservation des produits, est une initiative de son association : « Nous leur apprenons à préparer les médicaments avec propreté et donnons à ceux qui n’en ont pas des bouteilles appropriées pour assurer la qualité des remèdes ». On inscrit dessus les maladies soignées, la date d’expiration et l’adresse du fournisseur ainsi que les herbes qui composent le médicament.
Ces soignants travaillent désormais publiquement. Dusenge est un pasteur tradipraticien de Rubavu, à l’ouest. « Un hôpital » est installé chez lui. Des patients vont à tour de rôle dans son bureau de consultation où il fait les diagnostics. Lorsqu’il est capable de soigner les maladies qu’il a identifiées, il envoie les prescriptions à ses pharmaciens qui préparent et donnent les médicaments. Le patient peut rentrer ou, si son état est grave, être hospitalisé.
Pour 5 000 Frw (10 $), il a alors droit à prendre les doses de médicament jusqu’à sa guérison. Ce jeune garçon hospitalisé dit venir de la RDC. Il assure qu’il avait mal au ventre depuis longtemps et qu’avant, les médecins modernes et traditionnels ne l’avaient pas bien soigné : « Je viens de passer deux semaines ici et je me sens mieux ».
Les malades que les tradipraticiens ne peuvent pas soigner sont transférés chez un de leurs collègues ou dans un hôpital moderne, affirme Mukashema. Car, certaines personnes se méfient de la médecine moderne et, quoiqu’elles aient, vont d’abord se faire soigner par la médecine traditionnelle, même si celle-ci ne peut rien pour eux.
Ceux qui font ainsi sont souvent convaincus qu’ils souffrent d’empoisonnement. « Mais, il y en a aussi d’autres qui viennent des hôpitaux et qui nous montrent les papiers de consultations. Grâce à cela nous pouvons faire notre propre diagnostic », assure Mugisha Thacienne, tradipraticienne.
Pas des sorciers
Beaucoup de gens confondent en effet médecine traditionnelle et sorcellerie. »Certains praticiens travaillant dans la clandestinité et sans vouloir montrer les herbes qu’ils utilisent, plusieurs patients les associaient aux sorciers ou aux charlatans », confie Hitimana, un sociologue. Gashamura Alexis en explique les raisons : « Jadis, certains instruments traditionnels (calebasses, cornes d’animaux, etc.) aussi utilisables dans la sorcellerie étaient utilisés dans la médecine traditionnelle, ce qui prêtait à confusion ». Pour lui, il est nécessaire aujourd’hui d’administrer des soins de qualité.
Les tradipraticiens veillent aussi à la conservation de ce trésor médicinal que sont les plantes qu’ils utilisent. Ils ont ainsi organisé en septembre, lors de la journée africaine de la médecine traditionnelle, un « jardin national de botanique » à Nyanza, en province du sud. Ce dernier regroupe des plantes qu’ils utilisent. Emmanuel Habiyambere, président d’AGA affirme qu’à l’avenir des jardins similaires seront disponibles dans chaque district pour faciliter l’accès aux herbes médicinales.
S’ils sont déterminés à rendre leur travail plus professionnel, les tradipraticiens demandent aussi une collaboration étroite et réciproque avec les médecins modernes. En effet, s’ils transfèrent facilement des malades dans les hôpitaux, rares sont encore les médecins qui, officiellement, leur envoient des patients.
Par Fulgence Niyonagize