Rwanda : entre les mains des femmes, l’argent fructifie

Jouir des fruits de leur récolte ou des revenus de leur travail redonne leur dignité aux femmes et améliore la situation des familles. Les hommes qui acceptent que leurs épouses touchent à l’argent, ce que la tradition interdisait, en sont aujourd’hui satisfaits.

Depuis que leurs maris leur ont donné le feu vert pour gérer elles-mêmes les revenus générés par la culture du café, la vie des femmes caféicultrices de Rushashi dans le district Rulindo au nord du Rwanda a changé. ?Nous étions convaincues qu’ils devaient appartenir aux hommes?, reconnaît Venantie Mukabandora, membre d’Abakundakawa (les amis du café), une coopérative de caféiculteurs.

« C’est après une longue sensibilisation sur l’égalité des droits économiques, menée par l’Association des hommes activistes des droits de la femme (RWAMREC) que nos épouses se sont occupées du café et du fruit de sa vente?, précise JMV Bicamumako, président de la coopérative qui, tout président qu’il était, dit lui aussi avoir au départ enfreint leurs droits. ?Aucune femme n’a droit de toucher à l’argent?, se justifient habituellement les hommes qui estiment que les femmes doivent seulement s’occuper des enfants et du ménage.

Selon JMV Bicamumako, depuis ces échanges, les femmes participent activement aux activités de la coopérative et certaines possèdent leurs propres domaines caféiers ce qui change la vie de leur famille. ?Je ne vis pas que de la caféiculture. Je bénéficie aussi d’un travail à l’usine de transformation du café?, se satisfait Venantie.

Epargner plutôt que gaspiller

Aujourd’hui les hommes qui suivaient la tradition regrettent ce passé déshonorant. Antoine Mugwaneza gérait l’argent seul et en gaspillait la quasi-totalité dans l’alcool sans se soucier d’épargner. Souvent aussi les hommes ouvraient des comptes clandestinement et la femme ne pouvait pas y avoir accès. Aujourd’hui, Antoine et sa femme ont ouvert un compte bancaire conjoint : ?Grâce à notre épargne nous avons renouvelé notre maison et l’avons équipé de meubles neufs?. Des changements qui encouragent les membres de l’association à faire de même.

Jules Gahamanyi, un activiste des droits des femmes, affirme aussi que l’accès des femmes aux droits économiques qui permet de lutter contre la pauvreté dans les ménages favorise la diminution des violences domestiques.

Travail stable et digne

Toutes les femmes qui trouvent un travail régulièrement rémunéré, même si le salaire est peu élevé, à l’usine de café, qui en emploie quotidiennement plus de 1000, sont satisfaites. « Cet emploi leur permet de se prendre en charge elles-mêmes, sans mendier et sans courir des risques comme celles du commerce ambulant : confiscation des biens, emprisonnements, frappes…, note Joachim Ngaboyisonga leur superviseur.

C’est le cas d’Angélique Akimitavu, veuve et mère de six enfants : ?Je viens de passer trois ans comme journalière dans une usine d’exportation du café RWACOF. Je gagne 800 Frw (1.3$) par jour?. Cette somme est inférieure au profit obtenu dans son commerce de la rue mais la rend plus à l’aise.

Auparavant, elle était régulièrement pourchassée par les forces de l’ordre. ?Un jour la police m’a arraché un sac plein d’oranges et je suis rentrée mains bredouille?, se rappelle-t-elle.
Certaines comme Beata Ambaruberwe et ses neuf collègues, se sont regroupées en tontine de solidarité financière pour faire fructifier leurs revenus. Ce qui leur permet de payer le loyer et les soins de leurs enfants.

Cette ancienne prostituée loue aussi cet emploi qui l’a fait sortir de conditions ”inhumaines” lorsqu’elle passait toute la nuit au bord de la route, en attente d’un partenaire sexuel. Et quand la police ne l’appréhendait pas, elle se bagarrait souvent avec des clients insolvables qui lui infligeaient des blessures. « Je me suis convertie à un métier digne », se félicite-t-elle.

Par Fulgence Niyonagize

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