Goma : la multiplication des universités favorise la fraude

À Goma, les étudiants qui échouent changent facilement d’université et s’inscrivent dans l’année supérieure sans qu’on leur demande leurs diplômes. Car les institutions supérieures et universitaires en nombre croissant veulent avant tout gonfler leurs effectifs… et leurs revenus.

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Lorsqu’il s’installe à la tête du comité de gestion de l’Université officielle de Goma, le professeur Jean Paul Segihobe, docteur en droit public international, est surpris. Certains étudiants, même en deuxième cycle, n’ont aucun document attestant de leur cursus. Après un contrôle, à l’ouverture de l’année académique 2011-2012, une dizaine de ces étudiants « sans papiers » ont été chassés. Mais « ces étudiants vont s’inscrire dans d’autres universités qui ne vont pas exiger de preuves attestant qu’ils ont déjà étudié quelque part », regrette, pas dupe, le recteur Segihobe.

Goma, peuplée de 800 000 habitants, a plus de trente universités qui veulent toutes avoir beaucoup d’étudiants. Philippe Kyunyu, représentant des étudiants de l’Université de Goma, s’inquiète que « les institutions récupèrent n’importe qui dans le souci de se faire de l’argent. Cette situation est favorisée par la prolifération d’institutions supérieures et universitaires qui, pour augmenter leurs effectifs, inscrivent les étudiants sans vérifier s’ils ont réussi leur année ailleurs ou pas ».

S’inscrire sans diplôme

De fait, les étudiants ont pris l’habitude de naviguer d’une université à l’autre, sans valider toutes les matières qu’ils sont censés étudier. Pour un assistant de l’Université des pays des Grands Lacs, appâtés par cette facilité, « les étudiants ne travaillent plus sérieusement ». Pire, d’après lui qui connaît bien cette population car il donne cours tant dans des institutions privées que publiques, « les étudiants de Goma n’acceptent plus leurs résultats.

Lorsqu’ils échouent, ils changent d’université et accèdent, comme si de rien n’était, à l’année supérieure ».
Raku Nzita a échoué en premier graduat droit. Il se trouve pourtant désormais en deuxième graduat, sciences politiques et administratives. Ses raisons ? Rien à voir avec les études. Mais, d’après lui, « c’est honteux de voir ses amis passer dans l’année supérieure, voire terminer leurs études en premier alors qu’on a commencé à étudier ensemble ».

RK, lui, s’est inscrit « verbalement » en troisième graduat sciences de l’information et de la communication. Il n’a aucun diplôme, mais a convaincu une université de l’inscrire en racontant qu’il avait étudié à l’étranger : « J’ai eu une licence en cinéma dans une université ougandaise, assure-t-il sans posséder de documents qui l’attesteraient. Je voulais un autre diplôme en communication. J’avais peur qu’on refuse mon inscription ; heureusement on m’a accepté. »

Marc Ajuwamungu, ancien étudiant, raconte comment il a quitté son institution pour s’inscrire dans une autre. « Personne n’a rien exigé, ni bulletins ni diplôme. J’ai eu de la chance », raconte-t-il.

Les étudiants et les universités mis en cause

« L’Université est un milieu d’excellence où les normes doivent régner », s’exclame Jean-Paul Namagabe, docteur en théorie politique et secrétaire général académique de l’Institut supérieur de gestion (ISIG).

Il rappelle qu’un étudiant qui ne réalise pas les cinq dixièmes sur l’ensemble des cours double automatiquement son année. Ce qui s’applique difficilement pour le moment à Goma, précise-t-il : « Dans mon institut, certains malins retirent leur dossier et vont s’inscrire ailleurs comme s’ils avaient réussi. »

Le contrôle bi-mensuel des dossiers des étudiants n’est pas pratiqué par la plupart des universités, explique Philippe Kyunyu, représentant des étudiants de l’Unigoma.

« L’État a libéralisé le secteur universitaire vers les années 1994, pendant le règne de Mobutu ; cela permet à n’importe qui de faire ce qui lui semble bon, témoigne Jacques Byamungu, directeur général de l’université du CEPROMAD, une des institutions privées de Goma. C’est pourquoi ce secteur, autrefois réservé aux élites, est devenu celui de l’informel et de la pire survie. Ceux qui en pâtissent sont les étudiants dont le niveau est sacrifié. » Situation qui favorise la corruption dans les Universités congolaises où les étudiants prennent en charge leurs enseignants.

Pour mettre fin à ce problème, Deo Mazimwe, chef de travaux en psychologie industrielle et recteur de l’université du Kivu, pense qu’ « il faut que les universités s’échangent les palmarès, question qui est débattue depuis mars dernier dans la conférence des chefs d’établissements, réunion régulière pour parler des fonctionnements des institutions instaurée par le recteur Sehigobe Biriga. Le but : lutter contre la précarité dans le milieu universitaire « .

Par Cosmas Mungazi

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