Des ressortissants des pays d’Afrique centrale, convoyés par des passeurs, se font passer, auprès du HCR en Algérie, pour des habitants de Goma qui ont fui la guerre entre le M23 et l’armée congolaise. Ces demandeurs d’asile ont abouti là après un long et dangereux périple africain et des espoirs déçus d’entrer en Europe par le Maroc.
Syfia International
« On nous a dit que si nous allons là-bas et soutenons avoir fui la guerre à Goma, on allait nous prendre en charge et nous procurer des papiers’ », affirme mi-janvier, Trésor, un Congolais migrant pris en charge par le HCR (Haut commissariat aux réfugiés) en Algérie, après avoir échoué dans sa tentative d’entrer en Espagne en juillet 2012.
La plupart cependant ne sont jamais allés dans cette ville du Nord Kivu et ne parlent pas swahili. « Je suis de Kinshasa et j’ignore tout de l’intérieur de mon pays », admet Tocha*, une Congolaise. Même Annie, une Burundaise, ne connait pas cette ville congolaise proche de son pays. ’’Moi, j’ai grandi à Kisangani où ma famille est arrivée en 1997’’, dit-elle.
Mamicho, une Rwandaise qui fait aussi partie de ce groupe de faux habitants de Goma connait la ville mais n’y était pas pendant les évènements. « Je connais bien Goma, mais je viens du Maroc où je vivais avec mon petit ami, raconte-t-elle. Si je suis passée par ce subterfuge, c’est parce que l’on nous a fait croire que le HCR pouvait réinstaller aux Etats Unis des gens qui ont fui la guerre ». »Tous ont été poussés par les passeurs, qui ont des relations au HCR et connaissent les habitudes, à se faire passer pour des gens fuyant la guerre a Goma car c’était d’actualité », affirme à Alger un homme qui connaît bien cet organisme international.
Ultime étape d’un long voyage
Tous ont fait un long, coûteux et difficile périple avant d’échouer à Alger où aucun d’entre eux ne pensait jamais venir. Annie a pris la route du désert en novembre 2011 avec son mari et ses deux enfants dans l’espoir de gagner l’Europe. « C’est à Niamey que nous avons rencontré des passeurs algériens. Ils nous ont promis de nous faire entrer en Espagne via l’Algérie et le Maroc, raconte-t-elle. Mais quand nous sommes arrivés en Algérie, après la traversée du désert, ils se sont volatilisés en emportant tout notre argent. »
Avant d’arriver là, ils ont fait un vrai parcours du combattant. Cette famille réfugiée en RD Congo a quitté Kinshasa après les élections présidentielles de novembre 2011. « Nous sommes passés par le Congo-Brazzaville, le Cameroun, le Nigeria et le Niger », précise Annie.
Pour passer d’une frontière à une autre, ils ont souvent eu recours à de faux documents d’identité. « A Brazzaville, on s’est fait faire de faux documents béninois pour nous garantir l’accès sans visa en Afrique de l’Ouest et, avant de venir en Algérie, les passeurs nous ont fait confectionner des faux passeports maliens. » Ce dernier permet d’entrer sans visa en Algérie.
Amisa, une Congolaise qui vient juste d’accoucher, a, elle aussi, traversé le désert. « C’est mon fiancé qui a eu l’idée de prendre la route pour aller en Europe par route comme tout le monde le fait maintenant, avoue-t-elle, son bébé dans les bras. Mais nos passeurs n’ont pas tenu promesse. Ils nous ont amené jusqu’à Alger et nous ont conseillé de nous tourner vers le HCR car ces dernier temps, ce n’est pas facile d’entrer à Ceuta et Melilla (enclaves espagnole situées au Maroc, ndlr). »
Les passeurs orchestrent tout
Tous ceux qui se sont présentés au HCR comme des réfugiés congolais ayant fui la guerre, ont une chose en commun : tous ont été convoyés en Algérie par des réseaux de passeurs. « Ce sont les passeurs qui organisent tout. Quand ils acceptent de convoyer des gens, ils jouent aux tuteurs, révèle le père Yan, responsable de Rencontre et Développement, une ONG catholique qui assiste les migrants à Alger. Avant chaque convoyage, ils perçoivent des paiements qui couvrent les frais de transport, les bakchichs pour les postes de contrôle et les foyers ou hôtels le long du trajet. »
Sunday, un passeur affectueusement nommé « Father » (papa) par ses clients, témoigne : »Chacune des personnes que j’ai convoyées depuis le Nigeria a versé 500 $ pour venir en Algérie. Ici, c’est un autre réseau qui fait le Maroc qui doit prendre le relais ». C’est lui qui a eu l’idée de les envoyer au HCR. « Comme les issues pour aller en Espagne sont un peu bloquées, c’est moi qui leur ai conseillé d’aller au HCR pour avoir le certificat de demandeur d’asile, explique-t-il. Car, en obtenant ce document, ils peuvent séjourner en Algérie jusqu’à ce qu’ils puissent poursuivre leur voyage. »
Aux dernières nouvelles, le scandale a éclaté au HCR, car certains migrants auraient craqué et fini par dire la vérité. Le groupe qui avait été pris en charge par le HCR a été prié de quitter l’hôtel où ils étaient logés à la fin de ce mois. Ils se sont fâchés entre eux, les Congolais, pas plus de Goma que les autres, leur reprochent cependant d’avoir fait rater l’affaire. La direction du HCR, elle va enquêter sur cette affaire qui porte atteinte a l’image de l’institution.
* Tous les prénoms sont des prénoms d’emprunt
Par Paul Durand