Blick Bassy: réhabiliter la mémoire d’Um Nyobé

L’auteur-compositeur-interprète et maître de la création Blick Bassy a profité de la scène du 40e Festival international de jazz de Montréal pour saluer la mémoire de Ruben Um Nyobé, l’un des héros camerounais de la résistance assassiné par l’armée française, il y a 60 ans.

C’est sur les mots de l’ex-leader de l’Union des populations du Cameroun (UPC), prononcés lors d’un discours à l’ONU, que les spectateurs réunis pour la première fois à la nouvelle scène Verdun du plus grand festival de jazz ont vu le chanteur d’origine camerounaise faire son entrée.

Tout au long de son concert, Blick Bassy a fait de la pédagogie, expliquant l’origine banale du nom Cameroun (Rios dos camaroes, en portugais rivière des crevettes) ou rappelant que tout peuple avait le droit de choisir son avenir.

C’est pour cette raison que l’ex-secrétaire général de l’UPC menait son combat pour l’indépendance du Cameroun. Il a finalement été tué en 1958, abattu dans la forêt.

C’est de tout ça que parle le musicien camerounais dans son quatrième album, 1958, sorti au printemps dernier sous l’étiquette No Format/Tôt ou tard. L’album est aussi accompagné d’un livre, 1958, dans lequel l’artiste s’est confié au journaliste Andy Morgan.

À Montréal, le public a pu entendre la sublime chanson Ngwa (l’ami, en langue bassa), mais aussi Mpodol et plusieurs autres titres de ce nouvel opus dont la critique est élogieuse et qui promettent un avenir radieux pour l’auteur de la pièce Kiki, que le géant Apple avait repris pour une campagne de publicité.

Avant son spectacle, celui qui est aussi l’auteur du très savoureux roman Moabi cinéma, publié chez Gallimard, a défini sa musique dans une entrevue avec Touki Montréal. «En général, j’aime dire que je fais du blues afro-contemporain », a-t-il expliqué.

«Je me considère comme un afrocontemporain, comme quelqu’un qui est né au Cameroun, qui a grandi au Cameroun, qui vit en France officiellement, mais qui vit en fait dans le monde entier. Je me considère comme un vivant qui appartient à la Terre», a-t-il précisé.

Lorsqu’on lui demande comment la musique s’est immiscée dans sa vie, Blick explique qu’il a eu la chance que la musique, de manière évidente, lui ait fait comprendre qu’elle serait le centre de sa vie. «J’ai vraiment eu la chance très tôt de comprendre que je ne ferais que ça.»

C’est sa mère qui est la première personne à avoir cru en lui, a-t-il confié. « Ma mère, c’est vraiment quelqu’un qui chantait pour toutes les occasions quand elle était en douleur, quand elle était contente, pour tout ce qu’elle faisait, elle le faisait en musique», s’est-il remémoré.

C’est aussi sa maman qui lui a raconté les premières fois l’histoire d’Um Nyobé, aussi surnommé Mpodol, qui signifie celui qui porte la parole des siens, langue en bassa. «Elle nous en parlait à mes frères, sœurs et moi presque sous la forme d’un conte», s’est-il souvenu.

À l’époque de la chasse aux maquisards, sa mère et son père à elle ont vécu dans la forêt pendant un an et demi, a-t-il dit. «Comme on venait du village voisin d’Um Nyobé, on torturait et tuait les gens qui étaient censés avoir un lien avec ceux qu’on appellerait les maquisards», a-t-il ajouté.

Si dans les villages, on décrivait Ruben Um Nyobé comme un héros, à l’école, les livres d’histoires le traitaient comme un terroriste.

C’est l’envie d’en savoir plus son passé, son histoire, les traditions qui l’a conduit plusieurs années après sur la route d’Um Nyobé. «De cette envie est née une espèce de crise existentielle qui m’a obligé à comprendre pourquoi moi et les gens de ma génération vivent parfois cette crise de manière inconsciente.»

Pour Blick Bassy, il faut absolument que cette histoire soit réécrite pour faire de la place à bon nombre de ces résistants qui ont combattu la colonisation et l’impérialisme occidental.

Outre Ruben Um Nyobé, il a cité le nom de Félix Moumié (médecin et homme politique camerounais mort assassiné à Genève en 1960) ou encore celui de Castor Osendé Afana (économiste et militant nationaliste camerounais assassiné en 1966). Ce sont des hommes qui se battaient pour que les Africains puissent être simplement connectés à leurs racines.

«Dans notre propre storytelling, on a besoin de ces modèles-là pour pouvoir redonner confiance et créer des imaginaires nouveaux à nos nouvelles générations», croit fermement le chanteur.

«J’essaye de participer à l’écriture de notre storytelling parce que malheureusement les autres omettent la vérité», a-t-il ajouté.

«Ce travail est également de rappeler à la France que nous avons une histoire commune, de rappeler à l’Angleterre (autre pays colonisateur) et tous ses colons que nous sommes heureusement ou malheureusement liés parce que nous parlons et nous nous exprimons en français et que la francophonie par exemple sera à 90 % africaine dans les prochaines années», a-t-il illustré.

 «Nous sommes liés, déjà en tant que vivants, humains par la même histoire et il est super important de simplement reconnaître ses torts, savoir ce qu’on a fait, quelle que soit l’obsession (pour les pays colonisateurs) d’écrire un beau storytelling, Il est important de parler des faits et des choses très dures [qui ont eu lieu] pour pouvoir continuer la main dans la main», soutient-il.

Il déplore qu’encore aujourd’hui, ce soit des colons qui sont érigés en modèles sur le continent noir alors que c’est eux qui tuaient les enfants à l’époque.

Blick Bassy est toutefois d’avis que la meilleure façon de gagner le combat, c’est «d’opposer des idées et des opinions aux gens. Il y a des gens qui sont extrémistes, qui sont haineux, racistes, fascistes mais ce ne sont que des opinions parce que les mêmes demain peuvent changer d’opinions», a-t-il dit.

«Il faut avoir d’autres moyens d’approche parce que si on y va de manière frontale, c’est perdu d’avance», a-t-il précisé

«En étant artiste, en faisant ce métier, en faisant la musique, j’ai peut-être entre mes mains d’autres perspectives pour pouvoir toucher les gens à travers une mélodie, à travers une émotion et pouvoir parler des choses graves et à amener l’autre à pouvoir l’écouter», a-t-il ajouté.

À Montréal, Blick Bassy a quitté la scène en semant les graines du bonheur en incitant le public à «parler d’un truc incroyable [qui] s’appelle l’amour».

«Connectez-vous les uns les autres », a-t-il dit avant de s’en aller avec ses talentueux musiciens, Clément Petit (violoncelle), Johan Blanc (trombone, claviers, chœur) et Arnaud de Cazenave, (claviers et trompette).

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