FTA: ode à l’Afrique et à sa jeunesse avec « Traces, discours aux nations africaines »

Halles de Schaerbeek

Présentée lors de l’édition 2022 du FTA, Traces, discours aux nations africaines est à la fois un hommage à l’Afrique, berceau de l’humanité et pourtant cible de tant de convoitise et de mépris, mais aussi un appel à l’action à la jeunesse du continent.

Pendant près d’une heure, le public médusé de la Maison Théâtre de Montréal n’avait d’yeux que pour le comédien, metteur en scène et directeur artistique Étienne Minoungou, quasiment seul sur scène (avec son acolyte à la musique, Simon Winsé).

Charismatique et imposant devant son lutrin, ce dernier a tenté (avec beaucoup de réussite) de déconstruire la société actuelle, séparée en Nord et Sud, riche et pauvre, développé et…sous-développé.

Il a expliqué que le monde tel qu’on le conçoit aujourd’hui ne pouvait être que le résultat de la multiplication d’une seule famille africaine.

En ce sens, il était impensable que les fils et filles installés maintenant à Paris, Bruxelles et Londres ne veulent rien savoir du sort de leurs lointains cousins venus, par avion ou par embarcation, d’Abidjan, Douala, Lagos ou Ouagadougou.

La prestation d’Étienne Minoungou est d’autant plus réussie que le registre du texte est d’un répertoire assez soutenu.

«D’abord, c’est parce que c’est Felwine Sarr, économiste, penseur intellectuel […] C’est aussi une forme poétique qui va presque  dans un élan spirituel. Cette dimension spirituelle du texte est très essentielle, parce que je ne souhaitais pas seulement parler à l’esprit des gens, je voulais aussi que le texte puisse pénétrer le cœur et l’âme des gens et ça, c’est le rôle du théâtre. »

Il est important de saluer le choix de la musique pour accompagner ce plaidoyer pour une Afrique de demain plus forte et fière de ses fils et fille.

« [La présence de cette musique avec les instruments] permet qu’on crée un moment privilégié d’un rapport magique, poétique. Quelques fois, le fait que la langue soit très soutenue eh bien, cette ambiance politique presque sacrée permet une forme de  communion ».

C’était une volonté dès le départ du projet, assure le comédien dont la complicité sur scène avec le musicien Simon Winsé est évidente.

«Moi, j’adore travailler avec la musique traditionnelle […] Chez nous, la parole est à la fois musique et chant. C’est une dimension de notre présence au monde. Et je voulais quand que je  voyage avec un spectacle comme ça, que [le public] voit aussi la richesse poétique dont regorge l’Afrique. Par exemple dans les instruments, il y en a qui n’avaient jamais vu l’arc à bouche […] »

L’auteur sénégalais Felwine Sarr au FTA.

Dans ce texte de l’auteur sénégalais Felwine Sarr, pensé pour son collègue et ami Étienne Minoungou, tout le monde en prend pour son grade: aussi bien ceux qui sont venus sur le continent, que ceux qui sont partis et ceux qui sont restés. Le mot asservissement revient quelques fois, tout comme esclavage, colonisation etc.

«On a souvent l’habitude de raconter l’histoire d’un côté, précise le comédien, metteur en scène en entrevue […] Il ne faut pas que l’histoire puisse être le bien et le mal […] C’est la vie. Et dans la vie, il y a tout. Et c’est vrai que la responsabilité des élites africaines, la responsabilité de l’Afrique elle-même dans son propre destin […] il faut la situer. Il faut parfois la rappeler. On ne peut pas rejeter le tort sur les autres».

« C’est pareil, ajoute-t-il. J’entends parfois des gens dirent « Oui, […] moi je suis né là, en 1990, en 200, je n’étais pas là » […] Le confort des sociétés occidentales est un butin de guerre. C’est la somme de travail de 400 ans […] Ne pas s’interroger sur le déséquilibre qu’il y a dans le monde […], c’est manquer de lucidité sur l’histoire ».

À la base, ce texte a été commandé à Felwine Sarr par le ministère de la Culture du Sénégal pour l’inauguration du Musée des civilisations noires en décembre 2018, à Dakar, dans une ferveur, dont le comédien se souvient encore. Il a ensuite été présenté à Brazzaville, Kaolack, mais aussi un peu partout en Europe comme à Namur, Avignon ou Genève.

Halles de Schaerbeek

Étienne Minoungou est revenu sur la différence de réactions du public, que l’on soit à Ouaga ou Paris. Autant sur le continent, l’audience tend à réagir au discours et aux propos, autant parfois, ailleurs en occident, les gens dans la salle sont surtout à l’écoute.

«Le spectacle, normalement, dure 1h. À Brazzaville, c’est, 1 h 30 – 1 h 45 parce qu’on va discuter. Quand j’ouvre la discussion, ça débat dans la salle parce qu’il y a des situations qui concernent les Congolais », ajoute celui qui a fondé en 2002 à Ouagadougou les Récréâtrales.

« Et c’est finalement çà le théâtre, résume-t-il. C’est un espace de la discussion sociale. Et dans nos pays, quand tu installes ces discussions, ça discute vraiment. Alors, il faut mener le débat […] Quand on a fini la pièce, on se retrouve au maquis […], ça continue à discuter jusqu’à 1h, 2h du matin. La jeunesse africaine est une jeunesse très politisée au sens lucide du terme parce qu’elle sait très bien que les décisions politiques impactent directement leur vie quotidienne.»

À Montréal, lors de la première, c’était un mélange des deux mondes. On entendait une partie du premier rang répondre et interagir avec l’homme de théâtre tandis que l’arrière semblait plus médusé qu’autre chose.

Pour en savoir plus:

Traces – Discours aux Nations Africaines

FELWINE SARR + ÉTIENNE MINOUNGOU

  • Un spectacle du Théâtre de Namur
  • Texte Felwine Sarr
  • Mise en scène Étienne Minoungou
  • Interprétation Étienne Minoungou + Simon Winsé
  • Regard extérieur Aristide Tarnagda
  • Lumières Rémy Brans
  • Musique live Simon Winsé
  • Production déléguée et diffusion La Charge du Rhinocéros
  • Régie Gaël Genette
  • Opération des surtitres Karine Doucet Larouche
  • Coproduction Festival Les Récréâtrales (Ouagadougou)
  • Avec le soutien de Fondation Von-Brochowski-Sud-Nord (Berlin) + Institut Français (Paris)
  • Présentation en collaboration avec Maison Théâtre avec le soutien de Wallonie-Bruxelles International
  • Création au Musée des Civilisations noires, Dakar, le 5 décembre 2018
  • Traces – Discours aux Nations Africaines est publié aux / is published by Éditions Actes Sud
  • Première nord-américaine
  • Rédaction Paul Lefebvre
  • Traduction Jeff Moore

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